Pourquoi de plus en plus de personnes sont-elles intolérantes au gluten et pourquoi certains pains au levain, pétris avec des farines issues de variétés locales par certains artisans se digèrent mieux ? Le Biocivam audois
et des chercheurs de l'Inrae* ont lancé une longue étude pour lever le secret de nos meilleures miches.
Lundi 20 janvier, le fournil de Stéphane Marrou à Azillanet a servi de laboratoire.
Le Gluten : mythe ou réalité est le nom du projet dirigé depuis cinq ans par Kristel Moinet, du Biocivam de l'Aude, en collaboration avec l'Inrae* de Montpellier. “Cette recherche est une demande de pastiers [fabricants de pâtes] et de paysans boulangers dont des clients hypersensibles au gluten témoignaient d'une meilleure tolérance à leurs produits. Ils veulent donc comprendre.” De plus en plus d'artisans utilisent des farines de variétés non industrielles, fabriquent leur levain et prennent un autre temps de pétrissage. Dans la boulangerie industrielle et conventionnelle, les farines et les procédés diffèrent en tout point. Du gluten sec peut même être ajouté aux farines pour faciliter le travail. L'hypersensibilité au gluten est avérée (voir encadré) et 3 % des Français l'ont déjà supprimé de leur alimentation. Le gluten est présent dans la molécule de blé, il lui donne une réserve nutritive pour la force de la plante et intervient dans la qualité de la farine en lui apportant élasticité et cohésion. Ainsi, il présente un fort intérêt pour l'agro-industrie. Certains pains et pâtes actuellement en vente sur le marché contiennent des doses de gluten supérieures à ce que n’ont jamais ingéré les populations humaines. Mais, du côté de la science, les médecins manquent de données pour découvrir les facteurs déterminants dans les intolérances.
Aucune étude jamais réalisée
“Il devient urgent d’acquérir des données solides sur les propriétés des divers produits céréaliers proposés dans les filières industrielles et artisanales, et rétablir une relation de confiance avec les consommateurs. Agriculteurs, acteurs des filières céréalières industrielles et artisanales, techniciens et chercheurs de disciplines diverses, médecins, consommateurs et personnes présentant une hypersensibilité (non génétique) au gluten ont proposé de collaborer pour identifier les éventuels déterminants génétiques, agronomiques et ou technologiques des variations protéiques des produits céréaliers (pain, pâtes), tout en essayant de cerner les causes et effets sociologiques de l’hypersensibilité au gluten liés aux acteurs (consommateurs, transformateurs)”, expliquait Kristel Moinet dans un article publié dans la revue The Conversation en mars 2018. Un vaste programme est alors lancé, fondé sur la participation et la collaboration : Biocivam 11 et Inra Montpellier mais aussi des personnes sur le terrain (agriculteurs, transformateurs, acteurs du conseil agricole, chercheurs, médecins, consommateurs et personnes atteintes d’hypersensibilité non cœliaque au gluten). La teneur et la composition des glutens seront comparées dans différentes variétés de blé tendre et de blé dur utilisés dans la filière industrielle et dans la filière paysanne. Des chercheurs ayant démontré que l'allergénicité d’une variété de blé peut varier en fonction des procédés de panification (température ou temps de levage), les travaux prendront aussi en compte ces variables. “Au-delà des variétés, le système de culture et le processus de transformation seront testés pour leur impact sur la digestibilité des pains et pâtes”, dit l'article. C'est l’ensemble du processus de fabrication, de la fourche à la fourchette en passant par la meule et la sélection de variétés particulières de blé qui sera considéré et testé auprès de personnes dont l’hypersensibilité a été reconnue au niveau médical. Au-delà de la compréhension, l’objectif de ces travaux de recherche est de “pouvoir favoriser l’accès à des produits à base de blé ne générant pas d’intolérance alimentaire et d’accompagner dans ce sens les filières céréalières”.
Le Minervois à l'étude
C'est donc en Minervois, où l'ensemble de la filière est bien représenté que, lundi 20 janvier, au fournil Le Pain Levain (Azillanet), une expérience a été reconduite. Après que l’Inrae a identifié des souches distinctes de levures naturelles dans différents levains, les différences de fermentation seront étudiées. Seize pains différents seront élaborés à partir de trois levains et trois levures, ainsi que deux essais levain-levures, le tout avec deux variétés de blé. Les levains sont issus de trois boulangers locaux : la Commune du Maquis à Bois-Bas (Minerve), Edith Brissiaud à Argens, et Stéphane Marrou. Delphine Sicart, chercheure à l'Inrae Montpellier, la technicienne Kristel Moinet du Biocivam, Fanny, boulangère de la Commune du Maquis et Diego Second, de l’Inrae, sont au boulot. De nombreuses variables seront relevées. Kristel explique qu’ils n’excluent pas que la question du temps de fermentation serait important dans le processus d’intolérance, ajoutant : “En même temps seront aussi étudiées les qualités nutritionnelles de ces pains, le gluten, mais aussi les minéraux et les arômes.”. C'est la troisième fois que cette étude se déplace à Azillanet.
Catherine Jauffred
*L’Inrae est issu de la fusion, en janvier 2020, de l’Inra et de l’Irstea.
En savoir plus : Le gluten, la glu à pain
Le terme latin gluten signifie “colle” ou “glu” ; désigne la fraction protéique insoluble de certaines céréales constituée de deux types de protéines : les prolamines et les glutélines (respectivement gliadines et gluténines chez le blé). Ces protéines ont un intérêt pour la plante : elles servent de réserve nutritive lors de la germination du grain pour donner une plantule vigoureuse et ont aussi un intérêt pour l’industrie agroalimentaire en conférant à la pâte à pain ses capacités de cohésion, d’élasticité, de ténacité et de rétention des gaz. La boulangerie industrielle rajoute ainsi souvent du gluten pur sec dans la farine pour donner son “gonflant” à la pâte. Peu de chiffres précis sont disponibles aujourd’hui sur ces glutens rajoutés, leur utilisation par les boulangers, leur qualité sanitaire et leur impact sur la santé humaine. Trois types de pathologies liées à l’ingestion de gluten ont été identifés. La maladie cœliaque (ou intolérance au gluten), une maladie auto-immune qui se traduit par des lésions de l’intestin grêle provoquant un trouble de l’absorption, ou malabsorption, des nutriments (1 % de la population mondiale). Un deuxième type est une allergie au blé : elle se manifeste par des troubles cutanés, digestifs ou respiratoires (“asthme du boulanger”) (0,1 à 0,6 % en Europe.) Puis l’hypersensibilité au gluten (ou NCGS pour non-cœliac gluten sensibility). Cette pathologie concernerait un grand nombre de personnes présentant des symptômes variés (douleurs abdominales, brûlures épigastriques, nausées, diarrhées, constipation, maux de tête, fatigue...). Si, pour la maladie cœliaque et l’allergie au blé, il est possible de prouver la présence de la maladie, aucune analyse ne se révélera positive dans les cas d’hypersensibilité au gluten. Les médecins doivent donc continuer à rechercher des “marqueurs”. On parle de 0,5 % à 13 % de personnes se plaignant de cette pathologie. Dans le cas de la maladie cœliaque ou de l’allergie au blé, seul un régime alimentaire strict sans gluten permettra d’éviter la manifestation des symptômes. L’hypersensibilité constitue, elle, un cas de figure différent.
Source The Conversation