Partager la publication "Chronique au fil de l’eau : et pourtant, il “tourne”… et fait tourner !"
Derrière le voile poétique de son miroir d’eau projetant les reflets de la beauté de nos paysages, le canal du Midi œuvre en secret depuis des siècles. Et dans un souhait de permanence et d’éternité, Riquet, son génie créateur, l’a voulu ainsi : que son eau soit si “forte” qu’elle fende la terre du Languedoc, l’arrose et que, en allées et venues de Méditerranée en Atlantique, elle porte hommes et bateaux, transporte le grain et le vin puis fasse tourner les roues des moulins.

Prévoyant les difficultés et les obstacles à braver tout en élaborant chaque détail des ouvrages d’art nécessaires à son canal, Pierre-Paul Riquet travailla sans relâche, l’esprit guidé par cette volonté de pérennité pour ce grand œuvre… afin qu’il soit éternel pour des siècles et des siècles ! En cela, déjà en 1664, il écrivait ainsi à Colbert à propos de ses “aménagements et inventions” puisqu’il voulait rendre “la navigation du canal perpétuelle, et faire les arrosements, et aller moulins à la coutume”. Établir un lien entre la Méditerranée et l’océan n’avait en effet d’autre but que de concevoir une voie de transport très pragmatique, un outil économique à exploiter et à rentabiliser, et donc à entretenir, dans la permanence pour en maintenir longuement la fonction première.
Créer pour tourner
Parce que le sens de “tourner” n’est pas uniquement celui d’un mouvement circulaire, parce qu’il signifie aussi “se déplacer”, “aller et venir” voire “changer de direction”, mais encore “être en activité ou en fonction”, parce que “faire tourner” est une action qui met en mouvement, qu’elle est la capacité de faire fonctionner et donc d’être la force nécessaire à d’autres éléments pour se mettre en marche, d’être à l’origine même de leur existence, il nous a semblé que notre canal était bien né pour “tourner” et “faire tourner”. Nous n’avons donc pas hésité d’user, en titre, de la légendaire citation de Galilée, concernant les mouvements de la Terre autour du Soleil. Bien entendu ici, elle a également pour but de nous rappeler qu’en ce même XVIIe siècle, si Riquet parvint à ses fins sans prendre le risque d’être, lui aussi, persécuté (son canal ayant cependant eu “raison” de sa vie avant même d’être terminé), c’est comme un visionnaire et un utopiste qu’il dut convaincre le roi et son ministre. Cette phrase dont l’usage sert donc aux causes jugées irréalistes exprime l’adversité, celle à laquelle dut faire face Riquet comme celle devant laquelle se retrouvent parfois d’autres acteurs de la voie d’eau, ici et ailleurs, jadis et maintenant.
Utopie d’un canal vivant ?

Ces considérations nous amènent tout droit à la tribune que vient de publier un collectif regroupant précisément plus d’une trentaine de ces acteurs de la voie d’eau que sont les canaux de France, soit 8500 km de réseau navigable intérieur, le plus long d’Europe et semble-t-il le moins utilisé. Ces différentes associations et groupements d’utilisateurs professionnels et particuliers s’inquiètent et interpellent sur l’état de dégradation dans lequel se retrouve le réseau dit “voies navigable Freycinet et petit gabarit” et dont fait partie notre canal du Midi. Tous veulent agir et sensibiliser l’opinion publique afin que les autorités de compétence fluviale se mobilisent et prennent des décisions conséquentes. Il paraît en effet urgent de remédier au plus vite à la détérioration de ce réseau de transport qui affecte à la fois la plaisance, le tourisme et le fret, sous peine de ne pouvoir conserver des canaux “vivants”… Une démarche qui, dans son ensemble, ne peut être, effectivement, considérée comme une utopie, mais bien comme une réalité dont la prise de conscience est aussi celle concernant la vie économique, culturelle et sociale de bien des régions.
Dragage et réparation

Si les 2400 km de fleuves et canaux à grand gabarit, permettant aux bateaux de transporter jusqu’à 4400 tonnes de charges utiles, ont été maintenus en bon état, ce ne serait donc pas le cas des 5000 km de canaux Freycinet (du nom de leur concepteur au XIXe siècle) sur lesquels il est possible de charger 350 tonnes de marchandises et des 1000 km de canaux et rivières principalement utilisés pour la plaisance. Or, sans réparation des ouvrages essentiels, dont des écluses et des ponts-canaux accusant de nombreuses fuites, et sans dragages réguliers des fonds très envasés, cette navigation pourrait bien être très entravée. Le risque annoncé est celui d’un mouillage passant de 2,20 m à 1,60 m, ce qui empêcherait, plus particulièrement sur notre canal du Midi, tout usage de péniche “hôtel”, compliquerait celui des pénichettes de plaisance et supprimerait tant l’activité de fret que ses perspectives de développement… Autre souhait ou “utopie”, au vu des difficultés à surmonter quant aux délais et coûts, aux moyens de liaisons à mettre en place entre les lieux précis des expéditeurs et des destinataires, aux structures de chargements et déchargement, etc. ? Mais revenons au cœur de notre sujet : car il est vrai que les Voies Navigables de France s’activent précisément en cette période de chômage à cet entretien difficile de la voie d’eau, l’entreprise semble bien titanesque et au-delà des moyens de l’institution. Or sans passage de bateaux le phénomène d’envasement et de prolifération des plantes invasives ne fera que s’accentuer, réduisant par là-même le flux d’eau, amplifiant de façon exponentielle ce phénomène.
Hommage à la lenteur pour le climat

Et pourtant… Le contrat d'objectifs et de performance (COP), signé le 30 avril 2021 entre l'état et Voies Navigables de France (VNF) pour la période 2020-2029, entend faire du mode fluvial un des piliers de la transition écologique. Un hommage à la lenteur qui, si il ne répond pas aux impératifs actuels d’une économie de croissance où l’urgence est une priorité, permettrait de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre vis-à-vis du transport routier qu’il pourrait remplacer, réduisant également l’insécurité routière et les nuisances sonores. Concernant le COP, ce sont donc 220 millions d'euros pour l’année 2020, 300 millions d'euros en 2021, suivis à l’horizon 2030 de 3 milliards d'euros d'investissements prévus pour les infrastructures fluviales, dont 1,9 milliard d'euros dédiés à la régénération et à la modernisation du réseau. Or, pour le collectif précité, cela est largement insuffisant. Il est vrai que, concernant notre canal, si Riquet avait bien prévu l’entretien des infrastructures et du lit de son canal Royal du Languedoc, les deux derniers siècles passés ont eu tendance à l’abandonner comme voie économique et de communication au profit, d’abord du ferroviaire, lui-même délaissé ensuite au bénéfice du routier.
Souhaitons qu’une expertise ciblée définisse les justes coûts de cette “re”mise en état, que les volontés se concentrent sur la vie de ces “petits” canaux… et que, comme le voulait Riquet, son canal Royal devenu “nôtre”, celui du Midi, continue de tourner “éternellement” !
Véronique Herman