Partager la publication "Chronique au fil de l’eau : quand sacrilèges, remèdes et envoûtements égarent la foi, la loi et la raison"
A travers les brumes obscures de temps tourmentés, que maux et fléaux affligent gueux et bien nantis, trouver son salut conduit souvent sur des chemins de traverses peuplés de bonimenteurs et de magiciens, de spectres et de présumés acolytes de Satan, là où brûlent encore les restes de trainées de souffre allumées jadis par l’inquisition. Ah! Comme il est mal aisé parfois, même pour les plus éclairés, de percevoir les premières lueurs du siècle des lumières.

Fin de l’année 1677, nous avons donc laissé notre bon Pierre Paul Riquet dans le marasme de ses problèmes logistiques et financiers inhérents à l’avancement de son canal des deux mers, doublé de déconvenues familiales et de bien des chagrins. En effet, alors qu’il est « aussi » très préoccupé par une autre fameuse commande, celle de la construction du canal de l’Ourcq devant approvisionner en eau potable les habitants et les industries de Paris, cette année-là se termine dans la tristesse. Sa belle-fille Claire de Cambolas, épouse chérie de son fils aîné, Jean-Mathias, décède des maux qui la rongent depuis tant d’années. Et pourtant c’est à elle que lors d’incessants voyages, entre Toulouse et Sète en passant notamment par Béziers où il prépare la mise en œuvre du gigantesque « Escalier de Neptune » à Fonséranes, que le grand entrepreneur du canal du Languedoc a pensé. Il lui a envoyé de cette eau miraculeuse de la reine de Hongrie, tant vantée par le roi lui-même, qui devait calmer ses souffrances et lui rendre force et vigueur. Mais en vain. Ce remède a failli. Elle a succombé. Ah ! Ce grand malheur se fait bien lourd après les longs mois passés à soutenir sa fille Catherine dans l’éprouvant procès en nullité de son mariage qui poussa l’infortunée a déclarer, avec grande sincérité et conviction, que la ruine de son union n’avait d’autre cause que le mauvais sort jeté sur son époux par un noueuse d’aiguillette. Certes la jeunesse de celle présumée « pucelle » explique l’humiliante et honteuse révélation, mais ce procès offre également une vision éclairante sur la crédulité humaine, les pratiques occultes et les superstitions, tout en laissant deviner l’usage bien à propos que certaines et certains purent en faire… Or nous vous avions promis une petite suite à propos de cette fameuse affaire.
Convoitise et droit des femmes

« Ami lecteur, vous avez quelquefois Ouï conter qu’on nouait l’aiguillette. C’est une étrange et terrible recette, Et dont un saint ne doit jamais user Que quand d’une autre il ne peut s’aviser. » écrira Voltaire en 1752. De façon quasi « universellement humaine », unions et épousailles supposent l’espoir, sinon du bonheur, du moins d’une descendance voire d’une réussite sociale et même financière. Ainsi rien d’étonnant que depuis « toujours » les convoitises s’en mêlent et que celles et ceux, supposés investis de pouvoirs, vendent leurs maléfices à qui veux nuire à l’époux ciblé. La seconde moitié du XVIIe siècle est une époque où l’autorité conjugale est bousculée sur son socle masculin par celles qui, dans les salons, à Paris comme dans les grandes villes de Province, s’émancipent, revendiquant le droit à la parole, celui de lire et d’écrire et même de philosopher puis de controverser. Et c’est ainsi que l’annulation du mariage (qui ne sera divorce qu’après la Révolution), essentiellement une affaire d’hommes pour les hommes, deviendra accessible aux femmes avec pour argument massue celui de pouvoir justifier de l’impuissance du mari à remplir son sacrosaint devoir conjugal. Lors, la puissante virilité masculine s’en trouva fort déstabilisée.
Hantise et supplice
Le terrible sortilège du nouement d’aiguillette devient donc la hantise de ces messieurs. Plus d’un siècle plus tard, le docteur en médecine de la faculté de Paris, Augustin Cabanès, décrira la procédure « Après s’être muni d’un lacet, on assistait à la cérémonie du mariage. Lorsque les anneaux s’échangeaient, on faisait au lacet un premier nœud ; on en faisait un second au moment où le prêtre prononçait les paroles essentielles au sacrement ; enfin, quand les époux étaient sous les draps, on en faisait un troisième, et l’aiguillette était nouée ». Il est dit encore qu’il faut parfois accompagner ce simulacre de mots magiques et que l’effet castrateur sur les mâles attributs ainsi soit disant « ligotés » avec ce qui, aux sous-vêtements masculins, est l’équivalent de la braguette, perdure tant que chaque nœud n’a pas été libéré. Plus terrible encore, lorsqu’il y a procès et que quelques doutes subsistent malgré l’inspection minutieuse des parties intimes par médecins et

chirurgiens, la vérification de ce défaut de virilité doit passer par l’« épreuve du congrès ». Le pauvre doit alors s’exécuter publiquement devant les experts, ecclésiastiques, matrones et sages-femmes, seul ou en tentant de « faire l’assaut » de son épouse. Fort heureusement ce supplice fut aboli en février 1677, un peu avant que ne se déroule la demande en annulation du mariage de Catherine de Riquet dont le mari Jean de la V alette entra dans les ordres suite au procès.
Culotte salvatrice et remèdes
Est-ce pour calmer les esprits et apaiser ces messieurs que Louis XIV propagea la mode des culottes à boutons, l’histoire de ne le dit pas. Toujours est-il qu’avec la disparition du haut-de-chausses qu’il ne fallut plus nouer au pourpoint, l’aiguillette se débarrassa des envoûtements au profit de la grâce des ornements du vêtement et de l’uniforme. Et parce qu’il s’agissait aussi de modérer quelque peu les prétentions de ces « audacieuses, querelleuses… et méchantes femmes » contrariant le repos de leurs maris, apparut sur des gravures un certain docteur Tricotin proposant le remède miracle à la racine de Holà… Et cela « écrit en passant », pas de nouement d’aiguillette tardif pour Jean-Mathias de Riquet de Bonrepos, le fils ainé de notre maître du canal, qui ne se consolera du décès de sa chère et tendre Claire qu’après dix-neuf ans d’un long et triste veuvage mais qui se remaria ensuite par deux fois et devint père de trois enfants entre ses 58 et 71 ans.
Véronique Herman