Partager la publication "Chronique au fil de l’eau : quand une femme valait trois fois moins qu’un homme"
Qu’elle soit galante héritière des premières précieuses, raffinée et intellectuelle salonnière ou honnête bourgeoise, bonne chrétienne, qu’elle soit encore le piller nourricier et besogneux des roturiers ou du petit peuple, porteuse d’eau ou de cailloux, qu’elle soit peut-être une belle gueuse que l’on court ou alors cette fille de joie tarifée… A toutes ces « sorcières comme les autres », et en l’approche de cette prochaine « journée internationale des droits des femmes », cette chronique leur est dédiée.
Sur le vaste chantier d’un homme pressé
Riquet veut tenir ses engagements auprès du roi et de Colbert. Il a promis de réaliser son grand œuvre dans les délais impartis, c’est-à-dire en huit années et donc quasiment « au pas de charge ». Dès qu’il est adjudicataire des travaux et qu’il peut se lancer dans l’aventure, il organise très vite le travail et le répartit en différents chantiers. Fin 1666 il occupe déjà mille sept cents ouvriers et début de l’année suivante il dépasse les deux mille. « Tous les jours j’augmente le nombre » dit-il. Alors que fin 1669 Toulouse et Naurouze sont réunis, ce sont déjà huit mille « têtes » qui ont été mis à l’ouvrage, près de mille d’entre eux étaient des femmes. Au plus intense de l’entreprise, ils seront jusqu’à 12 000 terrassiers.
Embaucher d’honnêtes et pieuses dames
Alors que la majorité des travailleurs provient des exploitations agricoles à proximité du futur canal des deux mers, notre entrepreneur royal se retrouve devant une pénurie d’effectif. La situation est particulièrement critique lorsque vient la fin de l’été, que les blés sont à couper, les vignes à vendanger et les semailles à effectuer. Irritant quelque peu les propriétaires ruraux qui offrent des salaires plus bas, Il recrute pourtant à tout va. Sur des affiches placardées aux endroits de rassemblement, sur les places où se déroulent les marchés et les « loues » (criée de l’embauche), il annonce les conditions. Et il veut également toucher la main-d’œuvre féminine. Il lui faut du personnel en suffisance. Comme les premières qualités alors demandées à la femme sont d’être honnête et bonne chrétienne, suivant les principes vertueux de cette chère modestie, Riquet s’adresse donc aux curés. Ceux-ci introduiront ses alléchantes propositions dans leurs prêches et sermons, lui apportant ainsi un appui influent auprès d’un auditoire affable et crédule.
Économie et avancement avec les femmes
La démarche est judicieuse et, dans une lettre, Riquet explique ainsi à Colbert « Ce me sera une économie et un avancement de besogne de me servir des femmes pour le transport des terres avec paniers. Travaillant à forfait, elles feront autant de travail que les hommes qui travaillent à la journée. Il ne m’en coûtera pas tant et je verrai plus tôt la fin de mon entreprise ». Il paye en effet 8 à 10 sols par jour (il débuta même jusqu’à 20 sols avant d’avoir quelques remontrances, des propriétaires, des bourgeois et même des évêques) soit 10 livres par mois (environ 25 €/ms) et ce salaire est défini par « tête ». Or si un homme vaut une tête, il faut trois femmes pour l’équivalent. Et les finances de notre bon Pierre-Paul Riquet s’en trouvent fort aise, les femmes coûtent ainsi trois fois moins cher que les hommes!
Véronique Herman