Le 2 octobre 2020, dans le cadre d'annonces de mesures visant à lutter contre le «radicalisme islamique », le Président de la République a annoncé vouloir supprimer l'instruction en famille (IEF). Un projet de loi a été adopté en conseil des ministres le 9 décembre 2020, et soumis à l'avis du Conseil d'Etat avant examen par le Parlement.
En France, depuis la loi Jules Ferry de 1882, c'est l'instruction des enfants qui est obligatoire, pas l'école. Les familles sont donc libres de faire le choix de l'instruction en famille (IEF) : dans ce cas, une déclaration doit être faite à l'Education Nationale, qui met en place un contrôle annuel de la progression des apprentissages. Aujourd'hui, environ 35000 enfants sont instruits en famille, soit 0,3% du nombre total des enfants de 3 à 16 ans. Ce nombre d'enfants a presque doublé au cours des six dernières années, en raison notamment, précisent les associations de parents en IEF, de la décision d'abaisser à 3 ans l'âge de l'instruction obligatoire (rentrée 2019), et des difficultés croissantes d'intégration d'enfants « différents » au sein de l'Education Nationale.
Pourquoi remettre en cause soudainement une liberté vieille de 140 ans ?
L'étude d'impact de cette loi fait état d'un risque de radicalisation de certaines familles sous couvert de l'IEF. Pourtant, l'avis du Conseil d'Etat (1) précise que "...la réforme prévue par le gouvernement … soulève de délicates questions de conformité à la Constitution". Il ajoute que " les carences et dérives mentionnées (concernant l'IEF) … ne concernent qu'une très faible proportion de situations ». Il estime que « l’augmentation récente du nombre d’enfants instruits dans leur famille et les difficultés qui peuvent en résulter, en termes de moyens, pour les services académiques, ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à justifier la suppression de la liberté pour les parents ». Enfin, le Conseil d'Etat conclu que « le projet du gouvernement ne répond pas à la condition de proportionnalité (entre le projet et ses effets escomptés)... ». Les associations de parents en IEF dénoncent donc un amalgame infondé entre IEF et « radicalisation », et précisent qu'aucune donnée ne leur a été fourni sur ce prétendu lien lors de leurs rencontres aux ministères de l'Education et de l'Intérieur. Elles ajoutent qu'aucun élément nouveau ne permet de dire que la législation existante, tant sur l'IEF que sur la protection des mineurs, est défaillante. Elles demandent à ce que l'Education Nationale se dote de moyens supplémentaires pour faire face à l'augmentation du nombre de familles concernées, en expliquant que les moyens à mobiliser pour cela sont infiniment moindre que ceux nécessaires pour rendre obligatoire la scolarisation des enfants actuellement en IEF.
Où en est l'examen du projet de loi au Parlement ?
En février, le projet de loi a été examiné à l'Assemblée Nationale. L'article 21 (qui prévoit la suppression de la liberté d'instruction) a fait largement débat, y compris au sein du groupe majoritaire LREM, certains (dont le député de Narbonne) ayant même voté un amendement pour la suppression de cet article 21. Mais une fois encore, comme le dénoncent les associations de parents en IEF, les logiques d'appareil l'ont emporté au moment du vote final... La suppression de la liberté d'instruction a été votée, et un régime d'autorisation préalable a été prévu à la place dans certaines situations : raisons de santé et/ou handicap, activités sportives ou artistiques intensives, itinérance, et (juste avant le vote) « existence d'une situation particulière propre à l'enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ». Pour les associations, c'est la porte ouverte à l'arbitraire de l'administration, et une mise au pas de toute forme alternative d'éducation. Pourtant, une recherche universitaire en cours (2) montre que les enfants instruits en famille ne sont ni radicalisés, ni désocialisés, bien au contraire.
Le projet de loi est actuellement examiné par le Sénat, qui a voté la semaine dernière, en commission, la suppression de ce fameux article 21... A suivre !
- https://blog.landot-avocats.net/2020/12/07/voici-lavis-du-conseil-detat-sur-le-projet-de-loi-confortant-le-respect-par-tous-des-principes-de-la-republique-dit-separatisme-ou-laici/
Un père IEF