L’arboriste, en balade, croise un vigneron en pleine saison de taille. Il jette un œil à son travail et s’interroge : c’est une taille assez différente de celle qu’il met en œuvre sur les arbres… On lui répond qu’on a toujours taillé comme ça, et que même l’âne, qui aurait donné l’idée à l’homme de freiner la croissance de la vigne après avoir grignoté quelques ceps qui produisirent de jolis raisins l’automne d’après, savait y faire.
L’arboriste, intrigué, se met à observer souche après souche ; la vigne est une plante ligneuse, comme l’arbre, serait-elle à ce point différente de celui-ci ? Il se met à autopsier des ceps morts, les tranchant sur la longueur à la tronçonneuse. Peu à peu, il découvre des zones de mortalité dues à des plaies de taille béantes, quand les plaies plus restreintes n’ont d’effet qu’en surface ; des coudes formés des années plus tôt créent des asphyxies ; et souvent, un refus de l’allongement sacrifie des coursons qui se portaient bien !
Marceau Bourdarias, puisque c’est de lui qu’il s'agit, commence à se faire une réputation certaine dans le milieu viticole (un article lui est même consacré dans le très conventionnel « Réussir Vigne », no 259, février 2019, p. 16-17). Il anime des formations dans toute la France, et depuis deux ans en Minervois, à l’invitation de l’association Chemin Cueillant. Un moment souvent déboussolant pour les participants : ne tailler que du bois d’un an, pour ne pas avoir de cône de dessèchement et favoriser le recouvrement de la plaie, ce qui implique de choisir systématiquement le second sarment comme futur courson, à l’inverse de ce que l’on a souvent appris pour le cordon ou le gobelet ! Peu lui importe l’allongement, qui serait même bénéfique : tout ce bois vivant n’est pas un trajet de sève qui coûte à la vigne, mais bien une réserve permettant de passer les dures années et de conserver la vigueur acquise !
L’arboriste Bourdarias réussit, en étayant ses propos de preuves didactiques (références bibliographiques, photos, observations de terrain), à convaincre les stagiaires, qui souvent quittent sa formation de deux jours enthousiastes, avec l’envie de mettre en œuvre leurs nouvelles connaissances à la vigne. Et peuvent ensuite se demander qui, du bourricot qui doit préférer mâchonner le bois d’un an, plus tendre, de l’homme qui, un peu bourrin avec son sécateur électrique à la puissance aveugle, fait des plaies de taille handicapantes, taille le moins mal, finalement...
Antoine Cauchy