La Mutualité sociale agricole (MSA) est le régime de protection sociale obligatoire des agriculteurs et des salariés agricoles. Elle est leur guichet unique des services de la sécurité sociale (santé, famille, retraite). Pourtant, à travers les témoignages recueillis, il semble que l'organisme ne remplisse pas toujours son rôle de protection des adhérents, qui relatent ici leurs déconvenues, leurs mésaventures, voire leurs épreuves.
Des canaux de communication qui coincent
Roger*, éleveur, en arrêt de travail pour longue maladie, est excédé. Régulièrement, au moment de la demande de renouvellement de la CMU (Couverture maladie universelle, octroyée aux plus bas revenus), son dossier se perd, le service compétent ne le reçoit pas, il doit réitérer la démarche. Cette année, après une nouvelle perte du dossier, il renvoie les documents avec accusé de réception ; le dossier lui est revenu pour des pièces justificatives manquantes… qu'il avait déjà fournies. En attendant, il perd la CMU et ne peut plus se soigner. D'autre part, Roger doit renouveler tous les trois mois son arrêt de travail auprès de son médecin, qui le transmet obligatoirement à la MSA via internet. L'affilié reçoit bien l'accusé d'envoi mais la MSA n'a rien, et n'avertit pas le patient qui, de fait, perd ses indemnités journalières. Enfin, Roger rapporte que, deux ans après la cessation de son activité agricole, la MSA lui a réclamé des cotisations avec rappels et menaces de pénalités. A cela s'ajoute la difficulté d'obtenir un service au téléphone. La rédaction a tenté l'expérience, dix minutes d'attente pour entendre un message demandant de rappeler ultérieurement. Gauthier de Gualy, directeur adjoint de la MSA Languedoc, souligne pourtant que “82 % des 350 000 appels reçus en 2018 par la MSA du Languedoc ont été décrochés et pris en charge par un téléconseiller. L’organisme œuvre en permanence à améliorer la qualité de sa relation téléphonique et poursuit un objectif de 85 % d’appels aboutis en 2019”. Visiblement, ce n'est pas suffisant. Par contre, Roger tient à saluer le travail des conseillers des permanences MSA qui l'ont aidé : “sans eux tu n'es rien, ils sont compétents, écoutent et font ce qu'ils peuvent. Mais leur travail n'est pas facile, aujourd'hui ils n'ont plus accès aux services, ils doivent passer par une plateforme qui répond sous 48 heures, ils ne peuvent plus résoudre les problèmes directement”. Rémi* et Thomas*, respectivement salarié viticole et vigneron, ont droit au Revenu de solidarité active. Ils subissent, sans comprendre, des suspensions de paiement, des arrêts de prestations, qui entraînent une modification du montant des allocations logement, puis, sans explications, ils perçoivent “une somme importante”. Gauthier de Gualy explique que, “toute fermeture de droit, suspension ou suppression d’une prestation fait l’objet d’une notification préalable, motivée et assortie des voies de recours pour contester la décision. Et que conformément à la réglementation en vigueur, les montants de prestations indûment versées peuvent être récupérés par voie de compensation sur des prestations à venir (…). L’assuré débiteur est préalablement informé par une notification précisant le motif de l’indu et mentionnant les délais et voie de recours pour le contester.”
“Lourdeur, inefficacité et opacité”
“Lourdeur, inefficacité et opacité” sont les termes employés par Laurette*, exploitante depuis 26 ans en cave particulière, à la retraite depuis fin 2018. “La MSA, pour moi, est un organisme hostile aux exploitants agricoles, pour qui nous ne sommes que des tiroirs-caisses”. Laurette regrette “le soupçon de fraude” qui pèse sur les exploitants, “les patrouilles MSA pendant les vendanges ainsi que les courriers avec menace de prison pour les contrevenants”. Elle résume que, jusqu'à l'avènement du courrier électronique sur le site de la MSA, il était très compliqué d'avoir un interlocuteur au téléphone, et qu'en 26 ans elle n'a reçu que deux propositions de bénéficier d'une visite médicale. En septembre 2018, Laurette fait un AVC (accident vasculaire cérébral) : “j’ai eu le privilège de me voir octroyer 22 euros par jour d’indemnité, après une carence d’une semaine”, ironise-t-elle. Nathalie Guérin, chargée de communication à la MSA Grand Sud, concède que “les exploitants agricoles sont mal lotis concernant les indemnités journalières”.
Des pensions de retraite sous le seuil de pauvreté
Depuis le mois de janvier, Laurette perçoit sa retraite : 313,42 euros net par mois, auxquels il faut ajouter 67,48 euros net de retraite complémentaire. De même, Carine*, éleveuse, a cessé son activité en 2011 pour incapacité physique. “J'ai cotisé 32 ans, de 1979 à 2011, 24 ans comme chef d'exploitation, et 8 ans comme conjointe. Le statut de conjointe d'exploitation - assez récent - n'existant pas à cette époque, ces huit années ne comptent pas. J'ai une retraite mensuelle de 447,23 euros”. Le directeur de la MSA Languedoc précise que “le régime des retraites des salariés agricoles est aligné sur celui des assurés du régime général. En revanche, le régime de retraite des non-salariés agricoles obéit à des règles spécifiques. (...) Sur le long terme, on assiste à une convergence tendancielle du rendement des régimes (agricole et général) et de l’effort contributif des assurés, bien que le niveau moyen des pensions des anciens exploitants de 70 ans et plus reste faible. La loi du 20 janvier 2014 a rendu effectif l'objectif de garantir un montant minimum de pension globale, à 75 % du Smic net agricole pour une carrière complète. La mise en œuvre de ce dispositif s'est traduite par l'attribution, à titre gratuit, d'un complément de points de retraite complémentaire pour les anciens chefs d'exploitation. Les conjoints et aidants familiaux ne sont cependant pas éligibles à cette mesure de revalorisation. Une proposition de loi en 2017 prévoyait de porter ce montant minimal à 85 % du Smic mais le gouvernement a renvoyé l’examen de cette revalorisation à la réforme globale des retraites qui est attendue pour 2019”.
Adversité, désespérance et dénuement
Valérie, accompagnatrice de tourisme équestre, a ouvert un ranch sur la commune de Siran en 2007. L'activité fonctionne pendant un an, puis, en 2008, la structure ne résiste pas à la crise et perd de l'argent ; elle cesse alors son activité. L'espoir renaît lorsqu'elle entend parler des aides à l'installation des exploitants agricoles. Ainsi, elle décide de monter un dossier de Dotation jeune agriculteur (DJA). Une inspectrice MSA visite l'exploitation et l'affilie au régime agricole en tant qu'exploitante. Durant la première année, elle ne reçoit aucun appel à cotisations et ne s'en inquiète pas car elle bénéficie de l'Acre (aide à la création ou à la reprise d’entreprise), qui l'exonère des charges. La demande DJA est une aide au démarrage et doit être déposée avant la création de l'exploitation. La MSA fournit à Valérie une attestation d'affiliation à partir de l'année 2009, date du dépôt de la demande. Suite à des ennuis de santé qui l'amènent à une hospitalisation, Valérie s'aperçoit qu'elle n'a aucune couverture santé et contacte les services de la MSA : “Surprise, la MSA connaît la structure équestre mais ne me connaît pas !”. Une première affiliation a été éditée en 2007 à son nom, la seconde en 2009 au nom de l'entreprise qu'elle venait de créer. “S'apercevant de la méprise, la MSA lance alors des appels à cotisations depuis 2007. Au total 6000 euros !” Valérie se déplace plusieurs fois à Montpellier (services départementaux), tente de se faire entendre, contacte le médiateur : la MSA reste sourde à ses explications et ne reconnaît pas l'attestation d'affiliation 2009 fournie par ses services, rétorquant que la personne qui l'a éditée est aujourd'hui à la retraite. Valérie reçoit plusieurs fois par semaine des lettres de relance. Puis, en un mois, la protection agricole prélève 5600 euros du compte professionnel sur lequel était versé la DJA. Valérie ne peut plus faire face aux paiements fournisseurs, s'endette. Pour alléger ses charges, elle ferme sa structure aux clients quelques mois plus tard. Son engagement DJA la contraint à garder son cheptel jusqu'en 2014, elle n'a plus de revenus, plus de trésorerie, et apprend à tailler la vigne pour subvenir à ses besoins. En 2015, les dettes s'accumulent, les huissiers se bousculent, Valérie est contrainte de déposer un dossier de liquidation judiciaire. Etant installée en son nom propre, sa maison d'habitation est prise en compte dans la liquidation. En 2018, sa maison est vendue aux enchères.
La MSA réagit à la détresse des agriculteurs et met en œuvre des dispositifs d'accompagnement
En France, selon une enquête de Santé publique France, on compte un suicide d’agriculteur tous les deux jours. La mortalité par suicide des agriculteurs est 20% supérieure à celle de la population générale. Face à cette détresse, la MSA a mis en œuvre des dispositifs d'aide aux agriculteurs. La “Cellule pluridisciplinaire d’accompagnement du mal être et de prévention du risque suicidaire” a pour objectif d'apporter une écoute à des situations de détresse, de repérer, le plus tôt possible, les signes de mal-être, et d'orienter si nécessaire vers un accompagnement. Selon Gauthier de Gualy, dix-sept accompagnements sont en cours dans le département de l’Hérault et 131 personnes suivent le plan “Agir Ensemble” : accompagnement technique, économique, juridique et social. De plus, trente-quatre personnes ont bénéficié de “l’aide au répit”, destinée aux personnes souffrant d’épuisement professionnel, prestation qui permet de financer le remplacement de l’exploitant. Ce dispositif a été élargi aux salariés agricoles en 2018 avec des mesures spécifiques de prise en charge et d’accompagnement. Enfin la “Cellule pluriprofessionelle de maintien dans l’emploi” propose, en cas de difficultés liées à l’état de santé ou au handicap, un ensemble de solutions adaptées à la situation de chacun (préparation des conditions de reprise en cas d’arrêt de travail prolongé, aménagement du poste de travail, étude d’un projet de reconversion ou de reclassement dans l’entreprise…).
D'autres dispositifs existent (voir encadré) et, selon Nathalie Guerin, dans chaque canton, des élus MSA, eux-mêmes exploitants, peuvent jouer le rôle d'interface entre l'administration et ses affiliés. Cependant, aucune des personnes interrogées ou qui ont souhaité témoigner en ont connaissance et personne ne le leur a proposé.
Lydie Rech
*L'identité des personnes souhaitant garder l'anonymat a été modifiée.