Partager la publication "Sainte-Vallière : le chemin des Piémonts intéresse la communauté scientifique"
Adeline Rucquoi, historienne médiéviste, directrice de recherches au CNRS, a donné une conférence jeudi 29 octobre, sur le thème, Aude, l’hospitalité sur les chemins de Compostelle.

Adeline Rucquoi, spécialisée dans l'histoire de la péninsule ibérique au Moyen-Âge et en particulier sur le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle sur lequel elle a écrit de nombreux ouvrages, a été invitée par l’association Camins avec le soutien de la commune et de l’Acir (Association de coopération interrégionale des chemins de Compostelle et Réseau), dont elle est membre du conseil scientifique. Elle a mis en avant l’importance des hôpitaux tout au long des chemins jacquaires. Les hôpitaux constituent une caractéristique marquante des chemins de Saint-Jacques : sans l’hospitalité, point de chemin. « Avec leurs 1500 ans d’existence ces chemins et leurs hôpitaux nous rapprochent de notre histoire grâce aux récits de pèlerins », récits qu'Adeline Rucquoi a fait vivre lors de cette conférence. Ainsi, peu à peu, les chercheurs s’intéressent au chemin des pèlerins en Minervois, notamment pour son importance majeure dans le réseau historique des chemins vers Compostelle.
Les chemins dans l’Histoire
Avant l’an mille, deux chemins importants traversent la France, celui d’Arles à Toulouse, qui traverse le Languedoc par la Minervoise, et le chemin de Tours depuis Paris. A l’époque médiévale, on ne traverse pas le Massif Central. Les quatre chemins souvent évoqués dans les textes anciens constituent des chemins symboliques qui renvoient aux points cardinaux. En 1950, deux chemins, ceux de Tours et Arles sont rénovés. Les chemins du Puy en Velay et Vézelay sont créés par le biais de sentiers de grande randonnées (GR). Notre chemin historique dit d’Arles ou de Toulouse, par la Minervoise, est oublié de ces réhabilitations d’autant que sa destinée l’a conduit à demeurer un axe majeur emprunté par la circulation moderne. Aujourd’hui, ce chemin historique a enfin renoué avec son passé grâce à la création du GR 78, chemin des Piémonts. Adeline Rucquoi rappelle que dans la bible, Abraham obéit à l’appel de Dieu et part en pérégrination, du latin pérégrini, étranger de passage, ou pèlerin. En parallèle les œuvres de miséricorde se constituent pour l’accueil des pèlerins. Dans l’histoire chrétienne, de nombreux pèlerinages existent déjà comme celui pour Rome, à partir de 330. Vers 830 le tombeau de Saint-Jacques est découvert. Le pèlerinage débutera aux alentours de 860. Le chemin est parcouru par les voies romaines, mais aussi en bateau, par la méditerranée l’Atlantique ou les fleuves. En 899, le roi des Asturies, Alphonse III construit à Compostelle une grande église en vue d’attirer les pèlerins et favoriser la reconquête de l’Espagne. Une route est créée au nord du pays, avec des lieux d’accueil destinés à favoriser le passage des Francs : belges, français du nord, allemands…
Où dormir, manger, être soigné ?

Les premiers lieux d’accueil sont les monastères (1050-1150) qui reçoivent des dons pour cela.
Les églises peuvent également recevoir les pèlerins: en 1481 à Guadalupe, les pèlerins dorment à l’intérieur. Plus près de nous l’on sait que les pèlerins étaient aussi accueillis dans la chapelle Saint-Michel à Homps. Ils peuvent aussi être accueillis dans des maisons particulières, notamment à partir de 1494. Un réseau d’auberges se constitue avec près de chez nous, le quartier des Auberges à Cabezac, Pouzols-Minervois, Homps, Puichéric. Les pèlerins emportent de l’argent caché dans des poches secrètes. Ils doivent payer les passages en barque, les douaniers et les auberges. En 1493, un évêque arménien « Martyr d’Arménie » parle de son voyage de Bayonne à Saint-Sébastien, et se dit content de retrouver des compatriotes à l’auberge. D’ailleurs, les rencontres sont un des bons côtés du chemin. Les témoignages indiquent que tous les pèlerins ne vont pas à pied, tels les pèlerins anglais se rendant directement en Gallice. L’auberge a parfois mauvaise réputation. Un témoignage relate un vol d’argent en 1611, à Pampelune. Il a été perpétré par la femme de l’aubergiste, qui fouille dans l’armoire du pèlerin.
Hôpitaux et confréries :
Le Livret* d’Herman Künig von Vach en 1495, nous apprenons qu’à Burgos, l’Hôpital du Roy, le meilleur, offre trois nuits gratuites. A Burgos, on ne compte pas moins de trente-deux hôpitaux. Néanmoins le pèlerin ne les recherche pas en premier car, souvent peu alléchants : il lui préfère l’auberge, même s’il faut payer. A l’hôpital de Tournay, « On n’a pas le droit de pisser au lit » précise le règlement. Les lits accueillaient souvent plusieurs personnes. Les hôpitaux étaient plutôt réservés aux pauvres du lieu, aux malades bien sûr et aux pèlerins indigents. Il existe aussi de grands hôpitaux liés au pèlerinage : l'hôpital Saint-Jacques du bout du pont à Toulouse, l'hôpital de Compostelle (1501), l'hôpital des rois catholiques, l'hôpital de San Marcos (1555). Dans chacun de ces établissements, on trouve un médecin et un chirurgien et ces hôpitaux ne sont pas réservés aux pèlerins. Le 17ème siècle voit l’apogée des confréries. A Narbonne, la confrérie de Saint-Jacques gère un hôpital. Les malades sont pris en charge par les confréries qui perçoivent des aumônes à cette intention. Près de nous, à Pouzols, un hôpital était géré par des caritadiers du lieu, personne qui se voue au soulagement des pauvres et des malades, et soutenu par l’ordre de Saint-Just de Narbonne qui possédait des biens à Pouzols et Sainte-Valière. Des hôpitaux existent aussi à Capestang, Cabezac, Puichéric, Rieux-Minervois…. Par la suite, les confréries ont cessé d’exister car elles ont oublié leur première charge envers les pèlerins et les malades. Seules ont comptées les entrées honorifiques dans la confrérie. Cela a amené leur déclin ainsi que celui des hôpitaux vers le 18ème siècle. Seule demeurera l’hospitalité des monastères. Au 19ème siècle, vers 1835-1840, l’Espagne abandonne ses hôpitaux. Afin de créer une classe moyenne, les biens possédés par les « Mains mortes », dont l’église, sont vendus au profit de l’ensemble de la population. L’intérêt pour le pèlerinage diminue. Au 20ème siècle, l’authentification des reliques de Saint-Jacques par le pape Léon XIII permettra la renaissance des chemins. En 1950 à Paris, sous l’impulsion du marquis Alphonse de La Coste-Messelière, sont créés deux chemins : Le Puy et Vezelay.
Le pèlerinage aujourd’hui
En Europe les chemins de Saint-Jacques constituent un ensemble de plus de 60 000 kilomètres. Lors des années jubilaires ou « années saintes » (quand le 25 juillet, fête de Saint-Jacques, tombe un dimanche), la fréquentation est plus importante car des grâces sont dispensées aux pèlerins. L’année 2021 sera une année jubilaire. Quel que soit le lieu d’accueil, abbayes, gîtes, auberges, habitants, le pèlerin doit faire tamponner son crédencial. Ce document passeport lui permet de justifier sa qualité et d’être accueilli comme tel. L’accueil final en la cathédrale de Compostelle lui permettra, sur présentation du crédencial journellement tamponnée, d’obtenir sa Compostella. Ce certificat est donné au pèlerin ayant parcouru au minimum les derniers 100 kilomètres à pied ou 200 kilomètres à cheval.
*cité page 295 dans « Le voyage à Compostelle du Xème au XXème » de A.Rucquoi, F.Michaud-Fréjaville et P.Picone chez Robert Laffont
Catherine Cambriels