Elle aime marcher dans la garrigue et les rues ombragées de Félines, tôt le matin, à la fraîche, ou en fin de journée quand la chaleur est retombée. Raymonde Espérou, 86 ans dans trois mois, est Félinoise depuis toujours. Elle aime son village. Souriante, l’œil vif, elle a accepté de nous confier quelques souvenirs au fil d’une conversation à bâtons rompus…

« Je me souviens que l’école se trouvait là où il y a la bibliothèque aujourd’hui. On l’appelait la petite école. Ensuite, on allait à la grande école…
Je me souviens du club de la Régus : il y avait un ruisseau, et un parapet… On allait s’asseoir là, avec les vieux, ils racontaient des histoires et on les écoutait un peu…
Je me souviens de mon patron, le père de Marie-Claude Marty. J’ai commencé à travailler à la vigne quand j’ai quitté l’école à 16 ans, dans les vignes autour de Félines, entre autres pour M. Marty.
Je me souviens que je ramassais des sarments, on piochait autour des souches, on faisait des conques, des trous autour pour mettre l’engrais. Il fallait aussi enlever les mauvaises herbes, et après, ils passaient avec le cheval.
Je me souviens qu’il y avait des chevaux dans Félines. Ils appartenaient aux propriétaires importants. On les voyait devant leurs mangeoires. On les attachait aux anneaux (qui existent encore dans le village) quand le maréchal-ferrant venait… Lorsque les premiers tracteurs sont arrivés, les chevaux ont commencé à disparaître.
Je me souviens qu’il y avait une usine de tracteurs à Félines. L’usine Rouquier qui se trouvait là où il y a le foyer maintenant. En plein centre de Félines !
Je me souviens qu’il y avait davantage de commerces : au moins trois épiceries dont l’Abeille audoise, dans la rue où il y a le platane, on voit encore la devanture, et les Docs Méridionaux, deux boucheries, une boulangerie, deux cordonniers, et un bourrelier, sur la route de St Pons, qui arrangeait les rênes, les œillères des chevaux, fabriquait des ceintures aussi. Il y avait également les ateliers Mathieu…

Je me souviens qu’il n’y avait pas de marché, mais un jardinier venait. Et puis, chacun avait son jardin. On avait tout sur place. Pour le médecin, c’était à la Livinière et à Peyriac.
Je me souviens de ma mère promenant des chevreaux dans la garrigue. Elle avait des chèvres, environ 80, et un bouc aux grandes cornes ! Après, on a eu des moutons.
Je me souviens que le soir, on prenait le frais dehors, assis sur des chaises.
Je me souviens qu’il pleuvait davantage.
Je me souviens que pendant la guerre, on habitait au-dessus de la mairie. J’avais alors 10 ans. Les Allemands étaient à Félines, vers la mairie… Ils vivaient là. Nous, on ne faisait pas trop attention. Il y avait le maquis. Le couvre-feu, le confinement à cause du coronavirus, ça m’a un peu rappelé la guerre. »
Propos recueillis par Anouk Journo, présentés à la manière de « Je me souviens » de G. Perec