Il séduisit Louis XV, Bonaparte et le peuple de France, devint le symbole du bonheur, de la liberté et de la mélancolie, aussi. Il s’empara de l’âme des poètes, des philosophes et des jardins. Des bords de l’eau, il se mit alors à jouer avec le feu. Et aujourd’hui le voilà menacé par une mauvaise fille de Psyché.
C’est dans la « peuplomanie » galopante de la seconde moitié du XVIIIe siècle, évoquée précédemment, que nous poursuivons notre chronique consacrée au peuplier.
« Populus » royal

Si le général Bonaparte apprécia la rigueur militaire de ses alignements et encouragea de vastes campagnes de plantation au bord des routes, c’est avant tout Louis XV qui, dès 1745, va appuyer l’introduction et la diffusion massive de l’arbre. Notre roi, alors le « bien aimé », qui, ma foi, appréciait beaucoup « toutes » les belles plantes, offrit ainsi une destinée souveraine aux boutures ramenées dans les bagages d’un ingénieur en chef de l’armée française revenu d’Italie. Et sur bords du canal de Loing (liaison Seine/Loire) le conducteur des travaux, l’ingénieur des Ponts et Chaussées, Noël de Régemorte, séduit par ce feuillu présenté par son collègue, le fit planter (ndlr: rectification d’une confusion de personnage dans notre précédente chronique). Le peuplier gagna le canal Royal du Languedoc dans la retenue de Négra tandis qu’un pépiniériste parisien était choisi par M. de Caraman, l’héritier de P-P Riquet, pour créer une pépinière à Toulouse en 1763.
Frénésie galopante

Et ce peuplier d’Italie conquit également le cœur du conseiller royal, le marquis de Laborde. Ce dernier, gagné tout autant par la frénésie « verte », va, de plus, littéralement envahir sa propriété du château de Méréville dans l’Essonne, la garnissant de plusieurs milliers majestueux Populus nigra italica. Alors que la mode des jardins pittoresques battait son plein, près de 700 ouvriers et artistes travailleront durant dix ans à l'élaboration de ce grand parc paysager ponctué des fiers fanaux à l’élégante frondaison, incarnant le bonheur champêtre… et les rêveries de promeneurs bien accompagnés ou solitaires! Évocation évidente à Jean-Jacques Rousseau dont le concept philosophique était de faire revivre la nature en l'homme et dont le tombeau fut initialement posé sur l’île des peupliers à Ermenonville. Et la mélancolie s’empara de l’arbre qui se chargea, comme le cyprès, de l’esprit de Thanatos et entra dans l’art funéraire paysager.
De flammes et de soufre
Si la facilité de le multiplier par bouturage (rameaux prélevés à l’automne), d’en créer des cultivars variés (près de 350 espèces) et de l’élever sur différents sols encouragèrent l’implantation du peuplier, la dite « peuplomanie » française se calma au début du XIXe siècle. Elle fut à peine ravivée par la dénomination « citoyenne » qui octroya au « populus » le nom de « peuple », par dérive étymologique, et le désigna « l’arbre de la Liberté » à la Révolution de 1848. Il faudra attendre 1945 pour que la flamme de l’engouement pour notre arbre soit rallumée et ce fut la pénurie de bois d’allumette qui décida de cette nouvelle destinée. Le monopole d’État de la fabrication des allumettes ayant rejoint, en1935, celui des tabacs pour créer le Service d’Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes, la SEITA, se trouva effectivement, après la guerre, devant le manque de matière première suite aux difficultés et aux prix de l’importation depuis 1940… Alors qu’il est dit que chaque Français enflamme, en moyenne, six allumettes par jour, l’Anglais huit et le Belge neuf!
Les plantations du canal pour les allumettes

Sur base d’une convention entre les ingénieurs du canal du Midi et la manufacture d’allumettes de Bordeaux pour la SEITA, des peupliers sont replantés. Il s’agira de plusieurs espèces dont « l’Angula cordata, de l’Alba boléana et du peupler d’Italie, suivant des tests effectués entre 1947 et 1948, vérifiant la résistance à la sécheresse et au vent sur des arbres « témoins » à Fonsérannes. Les termes de cet accord garantit notamment une rétribution par peuplier au service de la navigation. Tout en conservant une grande diversité et en ayant déjà fait une large place au platane, plusieurs milliers de peupliers prendront place au bord du canal dans les années 1950. Leurs « grumes » seront exploitées pour partir… en fumée ! Mais dès 1960 les contraintes budgétaires, la privatisation de la SEITA, l’apparition des briquets et des allumages intégrés aux cuisinières tout comme l’évolution de la vie domestique avec l’électricité vont progressivement avoir raison des manufactures et, ainsi, du bois d’allumette.
Un renouveau sous la menace un papillon

Dans le cadre des replantations pour remplacer les platanes décimés par le chancre coloré, les Voies navigables de France avaient projeté de choisir le peuplier blanc, à la ramure plus large et au port plus ombrageant que l’espèce dite d’Italie, pour garnir un linaire important courant depuis Trèbes, jusqu'Argens. Mais, très vite, une mauvaise surprise arriva sous les traits d’un papillon « déguisé » en une espèce de guêpe. Il s’agit de la petite Sésie du peuplier qui vient pondre ses œufs au pied du tronc, par-dessous l’écorce. Les larves creusent ensuite des galeries qui, non seulement, affaiblissent les jeunes plans mais aussi créent des ouvertures dans lesquelles s’implantent d’autres parasites provoquant des maladies. « Le processus d’alignement et de proximité de nombreux arbres de la même essence amplifie le phénomène. À nouveau la nécessité de la diversification afin d’éviter ce type de phénomène nous est démontrée» nous confirme Émilie Collet, responsable du Bureau Environnement & Paysages chez VNF. Et de poursuivre : « Avant de faire ce constat nous avions déjà planté 90 peupliers blancs à Marseillette. Heureusement ils se portent très bien. Mais nous surveillons leur croissance de très près en souhaitant qu’ils ne soient pas victime de ce petit prédateur. » Preuve s’il en est que cette entreprise de replantation est un vrai « travail sur le vivant » et que rien n’est jamais acquis.
Véronique Herman