Et ce fil de l’histoire du vin continua de se dérouler, nous menant en barriques sur les barques du canal de Riquet pour embarquer vers d’incessantes traversées entre Sète et Alger, mais il reste à jamais lié aux sarments d’une vigne “universelle”, celle dont Phéniciens, Grecs et Romains nous apprirent, à tous, la culture et l’art de la transformer en vin, cela bien au-delà de nos origines.

En petite suite de notre chronique consacrée à l’époque où le vin d’Algérie fit les beaux jours du négoce, sur les quais d’Alger, d’Oran et de Sète… ou encore de Paris, nous vous emmenons faire un petit détour de l’autre côté de la Méditerranée, posant ses premiers pas sur les collines du littoral algérien, là où il y a bien longtemps la “préhistorique” lambrusque sauvage accrochait ses lianes aux arbres, offrant ses petits grains de raisin aux ancêtres du peuple berbère.
De la même histoire…

En des temps immémoriaux et en bien des horizons, la vigne a lié son destin à celui des hommes et, sur notre terre du Languedoc, la tradition accorde aux Grecs l’introduction de sa culture et aux Romains les prémices d’un savoir-faire du vin. Cependant ethnologues et historiens nous ont montré que nos Gaulois connaissaient déjà la douce saveur du raisin et que la fameuse Vitis vinifera était bien présente sur les terres du golfe du Lion déjà au IIIe millénaire avant notre ère. Et n’en déplaise à notre ego viti-vinicole, ce n’était pas exception. En effet l’histoire de la vigne, entre autres autour du bassin méditerranéen et en Algérie en particulier, s’est enracinée d’une façon tellement semblable, depuis ses origines sauvages en passant par les grands voyageurs phéniciens et grecs qui y transmirent les mêmes pratiques et traditions… menant à la création de ce savant breuvage qu’est le vin.
Avec les cépages languedociens

Alors qu’avant 1830, année de la colonisation, la surface des petites parcelles de vignes en Algérie était estimée à environ 2 000 ha, le pays va faire l’objet de toutes les attentions des instances françaises. Il faut y développer le vignoble ! D’années en années les surfaces vont dès lors grandir pour quasi être multipliées par cent et atteindre 171 723 ha en moins de quarante ans. C’est en fait entre 1850 et 1885 que cette progression voit réellement son plein essor. La Banque de l'Algérie et Paris offrent les meilleures conditions à de nombreux vignerons pour venir s’installer. Et ceux du Languedoc, forts de leur expérience et leurs traditions souvent familiales, sont les principaux à embarquer et à s’installer “là-bas”. Les exploitations grandissent. Ils y plantent leurs cépages habituels, essentiellement les robustes carignan, cinsault et grenache, rompus aux sols calcaires et caillouteux. Les tonneaux gorgés de vin s’entassent sur les quais à destination de Sète. Et comme vu dans notre précédente chronique, le négoce des “algéries”, ces vins d’un département alors français, est favorisé par la loi douanière qui permet l’entrée en Métropole en exemptant de taxe. Oran deviendra le premier département viticole (il s’y comptait 26 235 viticulteurs en 1959), devant Alger et Constantine.
À l’aide des vignerons français

Embarquons maintenant à bord de ce bateau qu’un petit insecte nommé phylloxéra va menacer d’un désastreux naufrage… Alors que, dans les années 1870, le vignoble est dévasté dans tout le pays, la pénurie de vin engendre des pratiques frauduleuses, menant à la fabrication d‘infâmes “piquettes”, ces vins frelatés en ajoutant de l’eau et du sucre lors de la fermentation. Or le terroir algérien semble encore épargné et il continue de fournir des vins hauts en degrés, la majorité à la robe rouge très foncé, mais aussi de douces mistelles (moûts de raisins frais mutés à l’alcool). Il est alors espéré que si des précautions sont prises contre le funeste fléau, “l’Algérie va remplir les cuves vides de la France”. Le phylloxéra atteindra pourtant les parcelles algériennes. Mais “bénéficiant” de la triste expérience des autres pays et de la meilleure connaissance de la “maladie”, la pratique de replantation sur porte-greffes résistants se met rapidement en place et permet la reconstitution systématique des parcelles détruites. La chute de la production ne sera que limitée et nos négociants, particulièrement ceux de Sète, Béziers mais aussi du Narbonnais s’en réjouissent. Et ils seront nombreux à la fin du XIXe et au début du XXe siècle à “ouvrir boutique” à Oran ou Alger.
La semaine prochaine, nous vous conterons ainsi l’histoire d’un d’entre eux, possédant bien des propriétés dont une aux portes ouvertes sur le canal du Midi.
Véronique Herman