Jeudi 27 mai, Miquèl Decòr/Michel Decor nous a quittés. Il avait probablement rendez-vous dans un café hors du temps de Marcelin Albert avec Achille Mir, Léon Cordes et Jean-Marie Petit pour une partie de cartes.
Il était né à Bize-Minervois en 1949 dans une famille modeste : le père cantonnier, la mère au foyer. Ses études le menèrent au lycée Henri-IV de Béziers où il eut Ives Roqueta comme professeur.
C’est aux temps de révolte de mai 1968 que l’enfant du Minervois révéla ses talents poétiques. Dans son recueil L’estofat que mitona, que Joan Larzac s’empressa d’éditer dans sa collection militante 4 Vertats, Patric, Martí et Eric Fraj puiseront des vers à mettre en musique. L’un de ses textes pacifistes va se répandre comme un long serpentin : le défilé militaire est détourné en manifestation carnavalesque et bon enfant : Farai de Carnaval la fèsta nacionala.
Son temps d’enseignant en coopération va lui permettre de découvrir l’Afrique du Nord où il découvrira un rapport avec la nature et des relations humaines qui se rapprochent, répondent et complètent son jardin d’Eden : le pays minervois. Des terres où un cabanot de vigne aménagé sera pour lui un lieu permanent de ressourcement et de motivation littéraire.
Professeur (de français et d’occitan) à Narbonne, il va participer aux activités du Cercle Occitan local, au sein duquel il animera un atelier de langue. Il sera toujours un membre actif de l’Institut d’Estudis Occitans. Il sera d’ailleurs président de la section audoise quelques années jusqu’au début 2018.
Il ne cessera jamais d’écrire, des textes courts et précis, clairs et évocateurs : les vers écrits à la main s’alignent jour après jour dans des cahiers titrés au départ selon la couleur de leur couverture ou leur lieu principal de rédaction ou d’évocation. Ces textes seront ensuite repris dans des publications régulières.
Une œuvre riche et tellement humaine
La plus grande partie de son œuvre est éditée dans la collection Vendémias de l’IEO-Aude : Lo pastre de las estelas (1993), La nuèit esquiçada (2001), Eiretièrs de la Luna (2008), Passejada menerbesa (avec traductions en anglais et en francçais ; 2010), La camèla blanca (2010), Soledre (2014). Un nouveau recueil La mar sus las espatlas se trouvait chez l’imprimeur en ce début mai. Les liens avec la Nature, une tendresse pour les animaux sauvages (le blaireau, le renard,…) ou pas (le chien, l’âne,…), l’aridité du Minervois, des Cévennes ou du désert, une soif de paix, des souvenirs de faidits ou d’Espagne républicaine, la recherche de la paix et de la sérénité, une quête d’amour font la trame qui poursuit la course lente du temps, qui découvre des ailleurs,…
Récemment, Troba-Vox, animé par Franc Bardou et Gerard Zuchetto, a accueilli ses publications bilingues : Letras de Mogador (2017) et Quasèrn valdés (2019).
En 1998, Aura Produccions a consacré l’un de ses coffrets Trésors d’Occitanie à son œuvre où il s’était fait lecteur de ses textes, ce qu’il ne dédaignait pas de faire en solitaire ou accompagné de musiques.
De ses interventions auprès des enfants de la Calandreta de Carcassona naquirent deux livrets : les poèmes Las tretze dichas (1999) et le récit de La Sarramauca (2004). L’IEO publia en 2005 dans sa collection jeune public Bib’Òc, un recueil de contes : L’ase de Josèp.
En 2007, paraissait chez A Tots, un recueil de nouvelles : Agost de guèrra, des fictions sur la guerre de 39-45 qui étaient appuyées sur des recherches et rencontres faites en Languedoc. D’autres projets du même type sont restés en gestation.
En 2014, il écrivait en compagnie de Miquèla Stenta, un texte à lire et chanter La Controversia de Puègnautièr. Ils sont également les auteurs d’un récit pour une promenade théâtralisée sur l’histoire de Bize à l’occasion d’un récent Total festum.
Per la patz…
Miné par la maladie, installé en Cévennes, il continuait d’écrire : les muses ne connaissent pas le repos. Il consacrait une partie de son temps aux relations entre auteurs du Comité des Écrivains pour la Paix du PEN-Club pour qui il se fit organisateur de rencontres à Narbonne. Début mai, il rédigeait ses participations écrites pour le projet Sextina en país d’Òc à mener à l’automne prochain avec une demi-douzaine de poètes d’Oc sous l’égide de l’Université Jean-Jaurès. Mais la Grande Faucheuse en a décidé autrement…
Les lettres d’Oc et le monde occitan ont perdu une grande voix. Ses obsèques se sont déroulées ce mercredi 2 juin à Bize et il repose désormais à Ginestas, bercé par le cers et le marin, voire sous la poussière de quelque coup de sirocco lui rappelant de bons souvenirs.
Mais quand instituerons-nous le jour de Carnaval comme fête nationale ?
Alan Roch
Hommage
• TrobaVox et l’IEO-Aude lancent un appel à ses amis et aux poètes d’ici et d’ailleurs pour une publication de poèmes et de textes en hommage à Miquèl Decòr.
Contact : bardou.franc@wanadoo.fr
Per 2021
• Chaque année, immanquablement, pour le Premier de l'An, Miquèl Decòr rédigeait un poème de vœux. Voici le texte qu'il proposait début janvier :
Lo fuòc sacrat Le feu sacré De la lenga de la langue Dels rèires, des ancêtres, lo menar amb las mans l’apporter dans les mains Dins un tesse de cruga dans un tesson de cruche Fins a « Sòl Invictus » jusqu’à « Sol Invictus » De l’annada de la prochaine Que ven… année… E lo coar et le couver D’amor d’amour Coma còr comme le coeur De l’aimada, de l’aimée, Quora l’aigat arriba lorsque grondent l’orage Amb tron le tonnerre Emai vent ; et le vent ; E se dire qu’aquò et se dire que cela Serà plan sera bien Sufisent… suffisant…
Lo camin del silenci
• En 2003, La Semaine du Minervois publia l'un de ses poèmes que Patrice Cartier intégra à son anthologie Nouvelles du Minervois (2005) :
Lo camin del silenci
Èri vengut per dire, un darrièr còp, qsu'espèri cada jorn que lo solelh se lève e que lo ser vengut se pòsque plan colcar.
Lispa lis e leugièr lo tron de las colèras d'un mond en desbarruta e comol de sas guèrras…
Alavetz, faire petar de l'uèlh al viure grandaràs e puèi abans lo jorn, caldrà virar lo cap e me'n tornar leugièr viure lo meune biais.
Lo camin qu'es davant e que mena al silenci, cap a mai luènh se'n va.
Le chemin du silence
J'étais venu vous dire, une dernière fois, que j'attends tous les jours que le soleil se lève, et que le soir venu il puisse se coucher.
Le tonnerre rageur d'un monde fou de guerre glisse sournoisement…
Alors, je jetterai un regard sur le monde et puis, avant le jour, je tournerai tranquillement la tête pour repartir plus haut, vivre à ma façon.
Le chemin qui est devant et qui mène au silence, vers le lointain s'en va.