Bien sûr Vauban ne leur a pas construit de fortes murailles pour les protéger, mais aux jardins secrets de ces gardiens des portes du voyage fleurissent les fleurs de la mémoire de l’eau et des bateaux. Pourvu que le rempart des passionnés de l’Histoire à jamais les défende comme celui de l’expérience humaine et du savoir-faire préservera leur métier.

D’arbres en fleurs et de fleurs en fruits, l’abondance des sujets qui nourrissent nos chroniques nous ouvre des pistes multiples où il est bien intéressant de s’attarder et parfois même d’aller flâner sur des chemins de traverse. Ainsi le thème des arbres qui nous mena aux jardins des éclusiers croise tout naturellement celui d’un des métiers nés dès la mise en service du canal du Languedoc. Et afin de vous transmettre avec justesse et précision le résultat de nos recherches, nous avons fait appel au savoir et à l’avis très éclairé de Samuel Vanier, le Monsieur « Archives » des Voies Navigables de France.
Préambule au carré
Alors que depuis le Moyen Âge il est de coutume de nommé son domaine de terres en « pré carré », surface facilement mesurable et généralement ceinte d’un muret de pierres sèches ainsi que les moines protégeaient leur jardin, l’expression « défendre son pré carré » a été popularisée par Vauban en 1673. En ces mots, ce dernier, qui n’avait pas encore été appelé sur les grandes améliorations du canal royal du Languedoc, conseillait au marquis de Louvois, ministre de Louis XIV, de « prêcher la quadrature, non pas du cercle, mais du pré ». Une façon élégante de vivement recommander au roi de faire « son pré carré » en son royaume et de le défendre d’une double ligne de villes fortifiées au Nord, aux nouvelles frontières des Pays-Bas espagnols… Ceci était donc un bref préambule en évasion de nos petits carrés de jardins éclusiers.
Du chantier aux écluses

Le métier d’éclusier a vu le jour en Europe dès l’apparition… des écluses! Ce mécanisme comparable aux marches d’un escalier remédiant aux obstacles des dénivellations des voies d’eau nécessita, dès le XVe siècle, l’intervention de la main et du bon sens humain pour les actionner. Par ailleurs le mot écluse tire son étymologie du latin "aqua exclusa" soit « eau séparée » qui apparut vers la fin du Moyen-Âge, se substituant dès lors aux anciens pertuis, passages étroits rudimentaires percés en aval des rivières afin de permettre la régulation sommaire des tirants d’eau et donc la navigation. Or « séparer » sous-entend bien une mise en action! Samuel Vanier nous explique alors que ceux qui vont être désignés à cette charge de gestion des écluses, dès la mise en navigation du canal des Deux Mers en 1681, font partie des ouvriers de l’œuvre de Pierre-Paul Riquet, ceux qui ont précisément travaillé sur cette immense chantier entre Toulouse et Sète. Au XVIIe siècle les matériaux primordiaux étant le bois et la pierre ce sont donc les charpentiers ou les maçons,

qui appartenaient aux corps de métiers permanents et essentiels à la construction, qui vont être plus spécifiquement choisis pour leur expérience et leur maîtrise, plus idéalement encore lorsqu’ils ont la possibilité d’être attachés à l’écluse qu’ils ont édifiée. « Il s’agit en effet de pouvoir intervenir pour résoudre tout désordre affectant le bon fonctionnement du canal. Or seules les compétences et la connaissance de l’ouvrage vont être efficaces devant les problèmes que peuvent engendrer les dysfonctionnements, les écueils face aux crues et aux événements climatiques ou encore les mauvais usages des premiers barquiers. Ces hommes de terrain se sont donc distingués par leur habilité mais aussi par leur aptitude au travail et leur bon comportement» nous dit-il.
A l’écluse et au moulin
« Notre Archiviste » nous apprend également que les meuniers vont faire partie de ces premiers éclusiers. Et suivant l’expression « tout fait farine au bon moulin », puisqu’il s’agit pour la profession de bénéficier du flux de l’eau généré par le système des écluses

qui va actionner la meule à moudre, quoi de plus évident, étant sur place, que d’être attaché aux services des « portes » du canal. Il en fut ainsi sur les sites de Trèbes ou de Toulouse, mais encore à Castelnaudary où un bail de meunier stipule cette fonction en « obligation ». « Mais le risque du conflit d’usage est bien là » nous confie Samuel Vanier. « Pour ces hommes, entre le choix de faire fonctionner son moulin ou courir à l’écluse du canal à chaque passage de barque, voire, de plus, assurer un entretien minimum de l’ouvrage, paraît évident : ils privilégient le grain à moudre. Avec le temps cet obstacle doublé du risque de placer le meunier en position de force vis-à-vis des gestionnaire du canal, cette fonction fut abandonnée ou, parfois, se transforma en « fonction annexe » consistant seulement dans l’obligation d’aider l’éclusier. La solution pérenne étant, de toute évidence, celle de l’éclusier dit « titularisé». » Cette présence des moulins nous rappelle qu’à l’origine le mot "écluse" désigna aussi un vannage de moulin (ou encore de pêcherie)
Véronique Herman