C’est sous les premiers rayons d’un franc soleil, émergeant de plus de trois mois d’un long sommeil hivernal, que de son élégance fascinante, perlée de l’éclat précieux de ses ocelles, un timide animal vient réveiller l’Histoire. Une histoire tracée sur les chemins de “l’or blanc”, ceux qui, de Sète, de bien des ports du Royaume de France voire même de notre cher canal du Midi, laissèrent, jusqu’aux “îles d’Amérique”, un triste sillage aux parfums doux amers.

C’est en effet en ce début du mois que nous avons eu la chance de croiser au détour des eaux du canal une magnifique “rassade” sortant de sa baignade et qui, de son nom vernaculaire, nous fit investiguer l’histoire et la relier à notre chronique.
Portrait d’un grand timide menacé
Rares sont ceux qui l’aperçoivent tant il est craintif et discret. C’est pourtant le plus grand des lézards d’Europe puisqu’il peut atteindre jusqu’à 70 cm de long pour les mâles. Espèce patrimoniale de notre Sud méditerranéen, ses dignes ancêtres ont laissé des traces fossiles de leur présence ( précisément en Roussillon) datées de plus de 2,3 millions d’années. Et pourtant ce lézard ocellé, puisqu’il s’agit bien de lui, fait hélas partie des 7 reptiles gravement menacés d’extinction. Trop sensible à la pollution, à la raréfaction des insectes, notamment des coléoptères dont il se régale, mais aussi à la disparition des “bartas” de la garrigue et des “pelouses” sauvages où, dissimulé, il chasse, il ne supporte guère l’agitation. Il fuit ainsi les activités humaines qui le qui le privent de son habitat et de paisibles espaces où il se dore au soleil. Incapable de creuser, c’est dans les amas de grosses caillasses, les anciens murets de pierres sèches ou même dans des terriers de lapins qu’il installe son antre familial. Il est devenu l’un des précieux indicateurs environnementaux et climatiques servant aux zoologistes d’établir le triste bilan des dangers qui, aujourd’hui menacent bêtes et hommes.
Petit dragon de légende aux yeux de velours

Avec son allure de petit dragon, dans sa robe parsemée d’yeux, ses magnifiques ocelles à la profonde teinte turquoise le distinguant assurément du lézard vert, il fut digne de bien des légendes. Reconnu bon nageur, ce “serait” d’une source pure et limpide où il plongea qu’il ressorti paré d’une pluie de gouttes d’eau le dotant de pouvoirs magiques, dont celui de se transformer en galant prince… ou en vilain sorcier. “Sauteur performant” pour attraper ses proies, il fit croire à beaucoup qu’il était même capable de voler ! De plus au sommet de sa tête, il possède ce qui est nommé son “troisième œil”, ou “œil pinéal”, qui est un organe photosensible dont la glande lui permet de détecter les variations de lumière… Attribut qui, convenons-en, ne peut que renforcer les pouvoirs de notre belle chimère !
Entre douceur et poison

Quant à sa gourmandise des petits fruits rouges… Eh oui ! Notre grand lézard apprécie aussi les baies sucrées… cela lui valut, à l’instar de la couleuvre “sa voisine”, la réputation de bondir au pis des vaches pour s’abreuver de délicieux lait tout chaud. Par ailleurs si son repas est donc composé principalement d’insectes ou encore de lombrics et d’escargots, notre “sarrade”, ce qui est bien appréciable, dévore sans crainte et sans vergogne des “bestioles coriaces et vilaines”, telles scorpions et scolopendres. Pourvues de petites dents peu acérées, ses mâchoires sont donc très puissantes et leur morsure, si elle n’est pas dangereuse, est à craindre car elle est peu entrainer de fortes entailles en arrachant votre épiderme. De plus notre farouche lézard, qui préfère “éviter les contacts”, n’hésitera pas, une fois acculé, à affronter celui qui entreprendrait de l’attraper. Cette audace courageuse et cette pugnacité, contribua à sa renommée de petit diable invincible résistant à tous les poisons.
Précieuse rassade de pacotille

Mais pourquoi donc avoir désigné ce fameux lézard ocellé du nom de “rassade” (du vénitien rassada, employé aussi en occitan et en provençal). Il s’agit en fait de “remonter” les siècles et de s’attarder particulièrement au XVIIe siècle alors que s’établissaient les “colonies” et que “l’or blanc”, qu’était le sucre, engendrai la malheureuse histoire du “commerce triangulaire” entre les grands royaumes de “l’Ancien monde”, l’Afrique et les “îles d’Amérique” qu’étaient les Antilles. La rassade était une jolie perle en verre étiré dont l’apparition semble dater de 1608. Fabriquée en Italie, composée de plusieurs couches, dont deux transparentes et une colorée de vert ou de turquoise, elle brillait d’un éclat qui jeta de la poudre aux yeux à travers le monde. Et si elle servit bien entendu comme objet de parure c’est surtout comme monnaie d'échange, séduisant les populations autochtones colonisées, qu’elle joua un rôle majeure dans l’histoire coloniale… et que notre beau lézard en garda le souvenir sur sa belle robe colorée.
La suite de l’histoire de cette petite perle fera l’objet de notre prochaine chronique.
Véronique Herman