
En ce jour d'automne, la pluie était tombée en abondance. Depuis la crête des faïsses (bande de terres soutenues par un mur de pierres), les ruisseaux des montagnes étaient en crue et dévalaient leurs eaux pour retomber en cascades et se jeter dans le ruisseau du Brian. Au sud, s'étendait les remparts des Corbières, le Minervois, le Pardalhan et les collines de la Clape. Et dernier horizon, la Mare nostrum. Vers l'est, on distinguait à peine la blancheur du Caroux dominant la vallée de l'Orb ouvrant la porte des Cévennes. Un peu plus à l'ouest, la crête blanche du Canigou laissant se succéder, impériale, la chaîne des Pyrénées que l'on devinait à l'infini.
Le vent avait tourné. Du Marin il était passé au Grec. La pluie avait cessé. Des odeurs de mouille se mêlaient aux senteurs des plantes sauvages, exhalées, par le tumulte des ruisseaux dévalant les pentes des versants exposés aux Adrets. Les deux louveteaux étaient sortis de leur tanières, la louve veillait sur eux. Pointe au vent, analysant les effluves de l'air, le nez de la bête, par mouvements successifs s'assurait d'une sécurité, voire d'une sûreté. Depuis trois jours et trois nuits, le mâle n'était pas revenu. Les loups connaissant plus le jeûne que l'abondance de nourriture. Allait-il venir ? La louve aura-t-elle suffisamment de lait pour nourrir ses petits?
Devant l'entrée, les louveteaux jouaient à se mordiller sous le regard bienveillant de leur mère. Couchés sur le dos, on distinguait la forme proéminente à reproduire l'espèce, une femelle, puis un mâle. La louve, soudain, dressa les oreilles, les louveteaux stoppèrent leurs jeux. Le mâle apparut. Il portait une proie dans sa gueule. Ils entrèrent dans une faille naturelle que formait l’entrée de la tanière entre deux rochers suffisamment larges pour passer la tête et les antérieurs. Le reste du corps suivait en étirant leur maigreur animale. Les parois du rocher étaient naturellement polies et le calcaire humide avait lentement fossilisé une multitude de poils laissés par de nombreux passages séculaires des canidés. Ces poils contiendraient-ils suffisamment d'ADN pour nous indiquer s'il existait une espèce de loup endémique vivant dans les montagnes de l'Hérault ? Le mâle quitta la tanière vers le soir. A la fin de l'été suivant, les loups avaient déserté les lieux. Ce fut certainement la dernière portée de loups vivants dans le secteur du Brian.
Trois cent ans après, les loups des Cousses nous parlent-ils encore de leurs cousins des Carpates, ceux des Abruzzes, des Cantabriques ou du Gévaudan ? Aujourd'hui, malgré leurs disparitions, l'entrée de la tanière est toujours là. Après y avoir accédé en rappel, leur message est toujours sur la paroi comme un signal permanent, mais pour qui ?
Cremat Delaborio