Gel, grêle, sécheresse, inondation, épidémie ou incendie… tant de maux pour une humanité bien démunie et impuissante. C’est ainsi que, depuis la nuit des temps, l’Homme accablé a voulu conjurer ses malheurs en implorant les dieux. Et bien souvent, il choisit l’icône suprême de la mère universelle, investie du pouvoir des déesses fécondes et protectrices, pour jeter son dévolu, fondant en elle tous ses espoirs. Et du pays toulousain aux terres minervoises, au travers des siècles il l’implora.

Comme emportés par une barque descendant de Toulouse vers Sète, nous allons consacrer nos prochaines chroniques à ce même sujet pour qu’ensemble nous partions à la rencontre de quelques-uns de ces événements qui marquèrent nos bonnes gens et qui les poussèrent, désemparés, à s’en remettre aux miracles et aux dévotions.
Dans la touffeur de l’été.
18 août 1672. Toulouse se réveille les yeux cernés et la bouche sèche après une mauvaise nuit dans la touffeur de cet été torride. Faubourg Saint-Michel, la poussière se soulève au passage de chaque chariot, se déposant sur les échoppes, souillant souliers, chausses et même pourpoints. L’eau, que les habitants ont obligation de jeter quotidiennement sur les déchets, sèche si vite qu’elle ne les fait plus glisser sur le pavé pour atteindre la rigole du milieu de la chaussée. Les détritus se couvrent de mouches et se décomposent sur place. Ça fleure le crottin et les ordures sans parler de cette pestilence acre qui se dégage des ruelles aux « petits coins » choisis par ceux qui ont coutume d’aller s’y soulager. Cela dit, gare à celui qui se déculotte à la vue de tous car il risque une amende de 5 sols. Chacun frôle les habitations, cherchant à tout prix les lignes d’ombre pour se déplacer. Même les premiers barquiers que l’on peut voir sur ce fameux canal royal du Languedoc suent autant que leurs chevaux sur le chemin de halage. Depuis le mois de janvier de cette année, les barques de voitures chargées de vin et de blé peuvent atteindre Naurouze. Puis, au nord après la porte de Bazacle, la première écluse de l’ouvrage de Monsieur Riquet, celle de descente de Garonne, permet de faire commerce avec les Gascons, grâce à cette liaison entre fleuve et canal.

Nuit rouge sur la ville rose
C’est donc dans le quartier Saint-Michel étouffant déjà sous une chaleur caniculaire que ce jour d’août 1672 se déclare un terrible incendie. Attisées par le souffle déchaîné du vent, les flammes mordent chaque pan de bois des maisons du faubourg et progresse vite. Trop vite. La population s’affole. La mémoire douloureuse de la ville se réveille. Cela fait à peine un an que le feu l’a déjà meurtrie puis de génération en génération s’est transmise la peur qu’éprouvèrent leurs ancêtres lors d’un précédent désastre, celui subi en 1463. Il brûla alors durant douze jours, lui aussi propagé par le vent d’Autan, son funeste complice dans la destruction de plusieurs milliers de maisons. Depuis, la cité s’est lentement reconstruite, privilégiant la brique de terre cuite (argile de la terre toulousaine) sur l’ordre des capitouls. Mais, 190 ans plus tard, plus d’un tiers des façades sont toujours en torchis et en bois, des matériaux qui flambent comme des torches. L’ardeur du brasier devient vite insoutenable, l’incendie a sauté par-dessus les fossés d’enceinte et menace les portes de la ville. Si au moins ce vent se calmait ou apportait la pluie. Il faudrait un prodige pour arrêter ce désastre.
Miraculeuse Notre-Dame noire

La seule qui, aux yeux de nos Toulousains, serait capable d’intercéder en leur faveur pour les sauver n’est autre que Notre-Dame de la Daurade, cette petite vierge noire mystérieuse qu’ils vénèrent ardemment depuis des siècles. Dans le secret de son sanctuaire, qui deviendra basilique, elle a déjà exaucé tant de femmes en mal d’enfant. Puis maintes et maintes fois, lors de grands dangers, ils l’ont priée, les capitouls demandant aux religieux de la sortir de son sanctuaire et de la porter en lente procession dans la rue. Et bien souvent le miracle se produisit ! En 1212, la «Chanson de la Croisade», celle contre les Cathares, n’en est-elle pas la preuve ? Les troubadours ne racontent-ils pas que, durant le siège de la Toulouse par Simon de Montfort, le peuple, les bourgeois et les nobles l’implorèrent si ardemment qu’une crue violente endommagea le pont de la Daurade, poussant les envahisseurs à battre en retraite? N’est-ce pas elle, encore, qui intercéda pour calmer le gel destructeur des futures récoltes, pour abreuver la terre d’une bonne pluie lors de terribles sécheresses et inversement pour apaiser le déluge et cette impétueuse Garonne menaçant d’inondation ou encore pour que s’arrêtent, en 1653, ces sursauts d’épidémie de peste qui, depuis 1348 et par vingt fois, terrassèrent Toulouse ? Alors oui en cette funeste journée d’août 1672, les capitouls vont faire vœu à Dieu par son entremise, demandant sa «descente», c’est-à-dire sa procession dans la cité. Et cette fois encore accompagnée d’une foule à l’intense ferveur religieuse ainsi renouvelée, prête, comme à chaque fois, à multiplier les offrandes et à sacrifier au rituel en toute crédulité, elle va entendre les prières. Le vent se calma, le feu s’apaisa et il ne fallut pas beaucoup de temps pour que la pluie se mette à tomber. Deux cents maisons furent malgré tout détruites mais la ville fut épargnée. On peut aisément imaginer, comme le fait remarquer Mireille Oblin-Brière dans son livre « Riquet le génie des eaux », que notre baron de Bonrepos et sa famille, dont la maison toulousaine se situait non loin du quartier de la Daurade, à la rue Puits-Clos, vécurent eux aussi ces événements de près.
Véronique Herman