Avec sa discrétion coutumière, Jean Durand s'est éteint à l'âge de 95 ans. Oupianais de toujours, il était, avec les siens, une figure marquante du village.

Travailleur infatigable, il a, jusqu'à ses derniers jours, arpenté ses vignes qu'il avait cédé à son fils, Michel, continué à passer ses journées au garage à entretenir, réparer et améliorer le matériel. Car si la vigne et le vin étaient sa vie, la mécanique était sa passion. Ces moteurs qu'il avait appris à connaître à l'armée, il en avait fait son sujet de prédilection : réparer bien sûr, mais surtout améliorer, innover, à l'image de son grand-père qui en son temps avait inventé un moteur rotatif, brevet à l'appui. Pionnier, Jean Durand l'était à tous les niveaux de son métier de vigneron : en 1945, il participe à la création de la cave coopérative, puis, n'aimant guère les chevaux qui un jour l'avaient maltraité, il a été le premier à introduire à Oupia le tracteur, puis la machine à vendanger. L'esprit toujours en éveil, il savait contourner les difficultés, comme cette année 1987 où il avait tant plu à l'automne, où pour se jouer de la boue et du sol détrempé, il avait jumelé les roues de la machine à vendanger. Et la vendange fut rentrée dans les temps. Mais Jean Durand avait aussi une autre passion, découverte l'été, à la mer, cette mer qu'il chérissait mais où parfois il s'ennuyait : écrire. Écrire pour un anniversaire, un événement, le portrait d'un ami. Tout était bon pour noircir ses cahiers d'écolier d'une écriture fine, appliquée. Et sur la première page de l'un de ses cahiers, ces quelques vers, comme une leçon de vie qui dit tout de ce doyen aux yeux malicieux qui s'en est allé arpenté d'autres cieux :
“Le décompte des ans a bien peu d'importance
Pourvu que les vingt ans persistent dans le cœur
Continuez donc ainsi avec insouciance
En espérant surtout éloigner le malheur.”
Henry Migaud