La maison de la famille Sudre, place de la République, a connu de nombreuses mutations et transformations. Ancienne marbrerie au milieu du XIXe siècle, elle devient ensuite un lieu de commerce des tartres et lies de vin. Les descendants ont ressorti les archives et expliquent que la terrasse, à l’ouest derrière la maison, fut construite par un aïeul pour faire sécher le tartre récolté dans les cuves. Composant naturel du raisin et du vin, l’acide tartrique – une fraction – précipite au cours de l’élaboration, sous l’influence notamment de l’abaissement de la température et de l’augmentation du degré alcoolique sous forme de cristaux de bitartrate de potassium. Ceux-ci ont tendance à s’accrocher sur les supports en contact avec le vin. Le tartre ainsi formé constitue une structure vivante qui renferme des micro-organismes qui n’attendent pour se développer que de trouver des conditions favorables : humidité, température, substrats. Ces conditions sont réunies dès que la cuve est remplie et peuvent mener à des altérations. Le détartrage constitue une des étapes les plus importantes du nettoyage. Une fois sec, le tartre était ensaché dans des sacs de toile blanche et commercialisé auprès des entreprises pharmaceutiques et cosmétiques.
Le bâtiment mute à nouveau ; la maison est rehaussée en 1904 et l’entrepôt devient écurie. Dans cette écurie, en 1944, vivaient deux chevaux, un âne et une chienne qui allait et venait à sa convenance, de l’écurie au jardin, du jardin à la maison. Mais au mois d’août, une colonne allemande redoutable en provenance de La Redorte investit Caunes-Minervois. Sur la place de la République, anciennement place Polister, les Allemands font une halte et attachent à l’anneau, scellé dans le mur extérieur de l’écurie, prévu à cet effet, quelques chevaux. Les villageois se sont barricadés. Seul le bruit de la colonne raisonne. Et dans l’écurie, à l’abri des regards, le grand-père pose son doigt sur ses lèvres et fait chut à tous les animaux qui se figent dans un interminable silence. Aucun hennissement, aucun aboiement ne s’échappèrent de l’écurie, tout le monde attendit, dans l’angoisse, le retour à la normale. Après s’être dispersés dans les rues, Les Allemands n’ont jamais su que l’écurie abritait des animaux remarquables.
Texte et photo Virginie Pospisil Puente