Étonnant chanvre que nous retrouvons sur ce chemin de mots et d’histoires et qui dévide son écheveau de lieux prospères en lieux obscurs, tel un fil d’Ariane à suivre dans un labyrinthe où l’homme s’égare et se perd corps et âme

Parmi les arguments de poids qui vinrent donner raison à notre bon Riquet, et justifier de sa gigantesque entreprise de rallier l’Atlantique à la Méditerranée, celui des grandes foires commerciales d’Occitanie eut toute sa place. En effet, aux yeux de Louis XIV à travers la « loupe inquisitrice » et intéressée de Colbert , si unir Neptune, le romain, à Téthys, la Grecque, avait tout son sens c’était avant tout en comptant fermement sur l’intervention active d’Hermès doublée de celle de Mercure pour que fleurisse l’axe royal du commerce fluvial « entre deux mers »… tout en laissant dans la pénombre Aphrodite et Vénus jouer à leurs jeux interdits.
Les saints des foires

Il faut dire qu’au XVIIe siècle, en 1687 exactement, le recensement dans l’intendance du Languedoc dénombrait 619 foires à dates fixes et 131 à dates variables. Et si aux origines très lointaines se retrouvent souvent les traces de lieux de rassemblement, de carrefour de rencontres, où se mêlent régulièrement les cérémonies primitives au troc des hommes nomades, l’Antiquité créa ses comptoirs (l’emporion grec et l’emporium romain) et le Moyen Age désigna distinctement ses marchés et ses foires sur des champs nommés « foirails ».
Pour ces dernières, le choix des dates fixes, avec le développement du christianisme, s’associera aux noms de saints dont la fête viendra régulièrement remplacer des manifestations païennes (exple les solstices et la Saint-Jean). C’est d’un bout à l’autre du tracé du canal royal du Languedoc que se situent ainsi des points, plus au moins importants, plus ou moins proches du linéaire, constituant une trame économique essentielle.
De Toulouse à Beaucaire en passant par Sète

Toulouse est alors une ville reconnue pour son commerce d’étoffes et de draps, ses riches marchands et sa foule de petits échoppiers. C’est également un centre de minoterie et de négoce de grains. Ils s’y organisent de nombreux marchés, certains très convoités, et des foires, dont celle de la Saint-Michel en septembre. Albi, Castelnaudary, Carcassonne, Narbonne et Béziers sont certes à citer mais celle qui a acquis une réelle notoriété au niveau internationale, c’est Beaucaire, avec sa foire de la Madeleine.
Il n’est pas incongru de supposer que la haute position économique de cette ville guida la décision de Riquet de ne plus donner à son canal un aboutissement à Narbonne mais bien dans l’étang de Thau, en communication avec ce fameux port de Sète qui lui demanda tant d’énergie et de déplacement.
« Fil » de joie

Mais que venaient donc faire Aphrodite et Vénus sur ces champs de foire ? A l’époque, la fréquentation de ces grands rassemblements de négociants, de producteurs, de voituriers et de visiteurs, souvent fortunés, était essentiellement masculine, ce qui ne manquait pas d’attirer une gente féminine peu farouche, prête à tirer profit de leurs charmes durant les incontournables moments festifs. Plaisirs de la table, des cabarets, du jeu et de la débauche sans compter faisaient partie des distractions indispensables au succès de toute bonne foire, digne de ce nom. Celles qui portaient le nom de « filles de foire » participaient dès lors à la réussite de l’organisation et d’autant plus si elles répondaient à l’expression de « mettre le feu aux étoupes ».
Revoici donc notre chanvre, celui dont on faisait les draps et calfatait les barques, mais que certaines de ces dames, les plus initiées aux herbes médicinales et pratiques de sorcelleries, utilisaient, elles, pour étourdir les moins dégourdis.
Véronique Herman