Réalisation : Panah Panahi
Durée : 1h33
Avec : Pantea Panahilha, Hassan Madjooni, Rayan Sarlak, Amin Simiar
Voici un road movie mais quelque peu disloqué et en perpétuelle réinvention. Iran, de nos jours. Une famille est en route vers une destination secrète. à l’arrière de la voiture, le père arbore un plâtre, mais s’est-il vraiment cassé la jambe ? La mère rit de tout mais ne se retient-elle pas de pleurer ? Leur petit garçon ne cesse de blaguer, de chanter et danser, c’est un vrai moulin à paroles. Tous s’inquiètent du chien malade. Seul le grand frère qui conduit reste silencieux. On comprend vite qu’il doit être confié à un passeur à la frontière irano-turque. Tout commence par un plan séquence virtuose qui d’emblée accroche le spectateur et lui donne à sentir le parfum et la couleur du film. Il sait déjà où il met les pieds. Le trajet ne va pas être comme ceux, linéaires, qui font avancer leurs personnages. Dés le début, des péripéties saugrenues ainsi qu’une incertitude quant à l’itinéraire entraînent une multiplication des haltes comme pour retarder le moment du départ. On perçoit l’atmosphère régnant dans une cellule familiale avant son éclatement. Bien sûr l’exil est désiré mais chacun porte en lui la douleur d’une longue séparation à venir. Il y a la désillusion du grand frère, la perte d’espoir et la volonté de partir parce qu’il n’y a plus grand-chose à tirer du présent. Le père, lui, se rend compte qu’il n’a plus aucune prise sur son environnement, il a baissé les bras et il ne lui reste plus que l’humour noir pour survivre. Les interactions entre les personnages paraissent ainsi décousues, comme si la famille avait perdu son lien social. Aux gestes doux de la mère répond une rebuffade colérique de l’enfant, seul à ignorer le but du voyage. On ressent aussi le sentiment, banal pour de nombreux Iraniens, d’être surveillés. La peur sous-jacente est probablement justifiée mais rien ne nous est asséné, c’est au spectateur de déduire ce qui lui est suggéré. La photo est magnifique. Les paysages se succèdent brusquement : collines arides, falaises abruptes, rivières, pâturages peuplés de moutons. Et puis la musique ponctue tout cela. On voit la famille danser au son des tubes d’avant la révolution islamique, autant de parenthèses au sein du voyage vers l’exil qui s’impose. Les acteurs sont tous parfaits, avec une mention spéciale pour le petit garçon.
Jean Segonne