Anne-Marie Tournand, retraitée, est bénévole depuis 5 ans à l’association “Lire et faire lire”. Elle se rend tous les vendredis à l’école maternelle d’Olonzac, à 13h45 précisément, avec son cartable rouge en cuir verni dans lequel se cache une histoire…
“Toc, toc, toc… Est-ce qu’on peut entrer dans l’histoire ?” Les enfants sont assis au sol sur des galettes de couleur, bien rangés face à Anne-Marie qui, avec son index, frappe sur la couverture. “Qu’est ce qu’il faut pour entrer dans l’histoire ?” Drôle de question que pose Anne-Marie, mais pas pour le public bien averti qui, d’une seule voix toute tremblante d’impatience, répond en rythme : “Ouvriiir grand les yeux… ouvriiir grand les oreilles… fermer la bouche… j’attends l’histoiiiire qui arriiiiive…”. Anne-Marie approche la couverture du livre vers son public, littéralement suspendu à ses lèvres. Les jambes sont croisées, les mains sont posées sur les genoux, on attend l’histoire de Nina en colère qui va bientôt arriver. “Les enfants attendent ce moment avec impatience, tous les vendredis”, déclare la maîtresse. Karine Prévot, directrice de l’école maternelle Henri Matisse à Olonzac, accueille depuis 4 ans Anne-Marie dans son école. Cette initiative a fait l’objet d’un partenariat entre l’éducation nationale et l’association “Lire et faire lire”. L’objectif étant d’apporter à tous les enfants, par le biais de l’histoire enfantine, ludique, une matière culturelle commune et le goût pour la lecture.
Comment mesurer l’effet lecture sur les enfants ?

“Les enfants ont bien identifié Anne-Marie, ils quittent momentanément leur classe pour ‘entrer dans l’histoire’”, explique Madame Prévot. Pour que cela se déroule dans de bonnes conditions, les enfants ne sont pas plus de cinq, et après 10 à 15 minutes consacrées à la lecture, aux questions, aux commentaires des uns des autres, sans oublier la petite histoire personnelle, qu’il fallait à tout prix raconter, Anne-Marie raccompagne les enfants dans leur classe et repart avec un autre petit groupe qui, à son tour, va découvrir l’histoire. Histoire qu’ils peuvent retrouver dans la bibliothèque de l’école et emprunter pour la maison. Ainsi, le livre qu’apporte Anne-Marie sort de l’école et entre dans le foyer de chacun des enfants. Tous les parents connaissent Anne-Marie avant même de l’avoir rencontrée, le livre essentiellement ludique devient aussi un support de communication avec les parents.
“Je n’ai rien à leur apprendre, juste à partager”
Anne-Marie n’a pas une formation d’enseignante, elle aime simplement lire et partager la lecture avec les enfants. Cette relation intergénérationnelle est primordiale, elle se fait naturellement, elle va de soi. “La posture de lecteur, c’est la grand-mère ou le grand-père qui lit une histoire.” Pourtant il n’y a rien de facile à retenir l’attention d’un jeune enfant ! Pour cela, il faut savoir choisir l’histoire, sa durée, il faut qu’elle plaise à soi-même pour pouvoir la lire en suscitant l’intérêt et l’attention de l’enfant. “La même histoire n’a pas toujours le même succès avec tous les groupes”. Anne-Marie se forme aussi à distance en s’appropriant des astuces partagées sur le site de l’association, grâce à l’expérience des autres bénévoles. “Le vendredi, c’est mon rendez-vous avec les enfants, je ne dois pas le rater, je ne dois pas les décevoir.”
Qui des lecteurs ou des enfants sont les plus heureux ?
Anne-Marie reconnaît prendre beaucoup de plaisir dans ce moment partagé avec les enfants. Les enfants sont attachés à “la dame qui raconte des histoires” et qui chaque vendredi en apporte une nouvelle, bien cachée dans son cartable rouge en cuir verni. L’année dernière, les lectures ont été interrompues à cause de la crise sanitaire. Karine Prévot les a reprises dès que possible. “C’est un moment tellement important !” Les mesures de sécurité appliquées dans le contexte sanitaire ne posent aucun problème, selon Anne-Marie. “Avec le port du masque, on force plus sur l’intonation de la voix ou le regard, on les accroche avec les yeux !”
“On ne raconte pas, on lit”
L’association “Lire et faire lire” a été fondée par l’écrivain Alexandre Jardin en 1999. “Le fondement repose sur le plaisir, le respect de l’autre, la découverte et le partage de ce bien immatériel, ce trésor à portée de main pour peu que l’on y ait accès, les mots, les phrases, les histoires, la lecture !” Cette association intègre le programme national éducatif d’ouverture à la lecture et de solidarité intergénérationnelle. Elle est portée par les réseaux de la Ligue de l’enseignement et de l’Union nationale des associations familiales. Pour illustrer en chiffres la force de cette initiative, en 2019/2020, 761 000 enfants ont bénéficié des lectures de 20 558 bénévoles. En moyenne chaque année, 740 000 enfants sont concernés. L’association nationale, qui comptait plus de 20 000 bénévoles, voit une baisse depuis le Covid et en appelle aux bénévoles de plus de 50 ans qui aiment lire. Les personnes intéressées peuvent contacter la coordinatrice départementale de Béziers, Françoise Desfours, au 06.31.78.26.40.
On sait (presque) tout sur la lecture, mais toujours pas pourquoi “Nina est en colère”… Alors pour cela il faut : ouvriiir grand les yeux… ouvriiir grand les oreilles…
Texte et photos Cécile Sourbès