Une brise marine s'était installée depuis deux jours, il avait plu toute la nuit abondamment. La mer était montée et s'était retirée, laissant une langue d'eau peu profonde où les enfants jouaient à apeurer les filles, leur cris strident me ramenant à des souvenirs si lointains. Un couple de baigneurs courageux avaient osé affronter les vagues, après avoir franchis le ressac, trouvant une houle leur permettant de crawler tout en maîtrisant les éléments. Le soleil s'étant caché, pas de moutons ni de scintillement sur l'étendue de la Grande bleue, seulement un vert foncé pas vraiment définissable. Pas un seul voilier à l'horizon, les kitesurfers osant approcher la plage et profitant du vent marin pour s'en donner à cœur joie, venant et allant sous un ciel gris monotone à faire déguerpir les peintres les plus chevronnés. Les jours précédents, on distinguait à l'ouest les Corbières maritimes s'effondrant vers la mer, toute la chaîne des Albères, dont les crêtes acérées découpant le ciel se déclinaient jusqu'au Cap de Creus. Mais aujourd'hui, les embruns masquant le relief limitent le champ de vision. Le bruit des vagues semble s'intensifier, la brise, régulière et continue, se distingue du Cers, qui, lui, est très irrégulier et plus tenace, très souvent accompagné de soleil. Le trait d'horizon est parfait. La mer, d'un bleu gris foncé et le ciel couvert de nuages ne se marient pas, c'est le divorce des couleurs. Il est 19 heures, la plage se fait mouiller un peu plus et les vagues viennent lécher mes pieds nus. Assis sur mon fauteuil de toile, l'effet de marée, si léger en Méditerranée, peine à se montrer, mais il est présent tous les soirs.
Un groupe de goélands pataugent sur le sable mou, j'observe la vitesse effrénée de leur pattes, ils semblent glisser sur le sable. Ces oiseaux d'apparence paisible sont des prédateurs carnivores en période de nidification des autres espèces. L'odeur des embruns fortement imprégnés d'iode, émoustille le terrien que je suis. Une jeune fille dirige un groupe de baigneurs pratiquant la marche dans l'eau, un monsieur à mobilité réduite peine à les suivre, rattrapant le groupe lorsque ce dernier inverse la marche. Sur la terrasse d'un chalet dominant le dernier parking de la plage, trois personnes profitant du soir qui tombe goûtent les derniers plaisirs de l'été. Nous quittons ce lieu pour revenir en terre à travers les étangs. La petite route tracée au cordeau nous conduit vers les rizières. Dans quelques jours, nous pourrons observer les cigognes, ce lieu étant une étape migratoire avant de repartir vers le continent africain. Dernier regard sur ce bâtiment rescapé du compagnonnage, atelier d'insertion dont l'arrondi de l'étrave jusqu’à l’étambot révèle une robustesse à toute épreuve. Chantier de marine entre canal de jonction et route départementale. Nous quittons la "sœur" de Rome aux vestiges grandioses témoin d'un passé chargé d'histoire, et dont l'architecture se dévoile lentement par le travail important de recherche scientifique. Maintenant, nous entrons en terre lézignanaise, capitale du cru Corbières.
Cremat Delaborio
