Stupeur et adaptation pour les caves particulières (1ère partie)
Cécile Domergue dans ses vignes à Centeilles (Siran)
Export, cavistes, restaurants... Tous les marchés des vignerons indépendants sont à l'arrêt et les trésoreries s'assèchent comme la Cesse en été. Sur le plan commercial, on force et réinvente la reprise pour sauver des ventes. Tour d'horizons auprès de trois femmes sur le terrain entre le Clos Centeilles, la Tour boisée et Château Coupes Rose.
"Mars, en général c'est un mois double", explique Cécile Domergue, à la tête, avec sa mère Patricia à Siran, de 18 ha de vignes au Clos Centeille (Siran, 34). "Le 17 mars, le téléphone s'est arrêté net et plus aucun courriel n'est arrivé dans la boîte mail", relate Françoise Frissant vigneronne en famille au Château Coupe-Roses à La Caunette. En un mois, la Covid-19 a plongé les vignerons indépendants dans l'inédit. L'inconnu pointe. Depuis mars, conséquence directe de la pandémie, l'économie mondiale des vins s'est arrêtée. Alors que le monde viti-vinicole se préparait à lancer la saison estivale, les premiers temps, c'est la sidération... En quelques jours, tous les échelons de la filière, négociants, importateurs, agents, sont plongés dans le silence. Caveaux et restaurants ferment, les salons aussi et les touristes restent chez eux. Seul le marché de la grande distribution vivote. Les trésoreries se vident et le futur se dérobe. Les bouteilles s'empilent, l'embouteillage au ralenti. Alors que le cru 2020 débourre, les salariés rentrent chez eux. Restent les vignes innocentes, qui auront toutes les faveurs. Mais après ce premier mois de confinement mondial, dans certains coins de la planète, les marchés se réveillent doucement. Non sans gueule de bois, ils tentent une relance. Ce sera résilience ou rien. Il faudra que le flux passe un tant soit peu, pour éviter la déroute.
"On ne gère plus rien"
"Aujourd'hui, on ne gère pas du tout, on a rapidement demandé les aides de l'Etat qui sont arrivées en quatre jours. Ces 1500 euros, ce n'est pas rien pour nous, ils ont permis de payer un mois de salaire d'un saisonnier. Maintenant, on se tourne vers la Région qui promettent aussi des aides." Pour la mère et la fille, et leur domaine classé en cru La Livinière, tout a basculé quand les commerces et restaurants ont fermé. Un marché qui représente 80% de leurs ventes, le reste se faisant en direct, à la propriété ou via les commandes des clients fidèles. Assis sur une petite trésorerie, le domaine vit aujourd'hui avec les dernières factures de janvier, mais jusqu'à quand ? "Les caveaux tenus par des salariés ont fermé par précaution d'hygiène, mais les petits cavistes ont rouvert. On salue leur dynamisme. Avec eux, on espère une reprise, même douce." La famille ne se laisse pas abattre. "Je me concentre sur la vigne, je laisse les écrans à ma mère et on se fait une vie sympa au domaine. Tranquilles, on cuisine beaucoup !" La jeune Cécile n'a pas l'âme à se réinventer sur les sites internet même si elle voit que pléthore de nouveaux sites sont créés. On l'a aperçue, en gros plan sur Facebook, assise sur un tonneau, invitant à trinquer avec elle – ou au soutien. Elle veut rester confiante et optimiste. Pour elle la qualité des produits et les liens ténus avec les clients seront le gage de la reprise. "On espère que le public reviendra vite et qu'il se tournera encore plus vers le local et les petits domaines."
La Tour Boisée peaufine ses liens
Autre combat chez Florence Hallett, en chômage partiel pour le domaine de la Tour Boisée (Laure-Minervois -11). Pour ne pas perdre le lien avec les clients, elle prépare le retour à l’activité et repense son rôle de commerciale à l’international. Seuls les vignerons sont restés au domaine auprès des vignes. "Le travail à la vigne n'a jamais été autant à jour qu'en ce moment !" Elle qui parcourt le monde en temps normal confirme que tout s'est arrêté au premier mois d'un confinement mondial mais guette les premiers signes. "On voit maintenant que les partenaires se réveillent et s'adaptent". Elle les suit ou les précède, invente et cherche comment faire pour relancer les circuits, autrement. S'il manque quelques maillons de la chaîne, consciencieuse, elle ne veut surtout pas rater le coche. "Je prévois des communications spécifiques pour nos différents marchés." Le domaine créé par Jean-Louis Poudou a acquis depuis des années une clientèle fidèle. A l'export elle a vite vu qui bougeait encore ; au niveau national, elle garde confiance. "De nombreux cavistes indépendants se démènent pour continuer à vendre, de notre côté les livraisons se poursuivent ; les transporteurs ont repris la route. La relation d’équipe créée avec les cavistes qui surmontent l’offre pléthorique en imposant leur style et leur implication auprès des petits domaines, nous permettra de surmonter cette épreuve ! Il faut aussi soutenir les restaurateurs et mettre à profit les gestes barrière pour favoriser des relations d’échange verbal qui compenseront la distance à préserver ».
De nouveaux concepts de dégustation
Pour la famille Frissant, au Château Coupe-Roses, l'export représente 80% du marché. Ensuite viennent cavistes, restaurants, hôtels puis les achats au caveau. "Le monde est confiné, nos principaux importateurs le sont, les Britanniques, les USA, le Canada, le Japon... Le marché du vin chinois est encore à l'arrêt. Un dicton dit que si pour les Français il faut un prétexte pour ne pas boire de vin, pour les Chinois, eux, il leur faut un prétexte pour boire du vin. Alors en ces temps... Ce sera difficile." Depuis un mois, Françoise Frissant est vissée derrière son ordinateur. Celle qui a toujours un pied dans un avion, une valise prête pour sauter d'un continent à un autre et développer les ventes du domaine à travers le monde, se surprend aujourd'hui à travailler autrement. "Je passe mes journées à communiquer et échanger via les réseaux sociaux et sur le web, nous avons même réalisé des séances de dégustation avec le Japon en visioconférence. Je me retrouve à décrire les vins à distance avec ma clientèle qui déguste en direct." Sarah, sa fille qui la seconde habituellement est au chômage technique, Denise, leur salariée reste auprès de sa fille "à la maison". Un saisonnier et Mathias, leur fils, sont auprès des vignes. Comme pour tous ses collègues, cet épisode la projette sur "le monde d'après". "Je me pose des questions, comme par exemple repenser l'utilité de tous nos trajets en avion...". Avril s'annonce un mois mort, qui suit mars réalisé au tiers. A l'instar des autres vignerons, Françoise s'inquiète pour les stocks de vin qui attendent au domaine, particulièrement le rosé qui concentre habituellement sa saison entre le printemps et l'été.
Catherine Jauffred
Du vin à distiller, l'appel d'Eric Andrieu
En avril l'euro député occitan Eric Andrieu avait alerté sur les milliers de litres de vin qui risquaient d'être perdus pendant cette crise exceptionnelle. Le secteur du vin est en danger, les 25 % de taxe à l'importation supplémentaires qu'avait imposé le président Trump avait déjà donné un coup sur les petits exportateurs. Aujourd'hui, le confinement frappe de nouveau le secteur. Eric Andrieu a interpellé le commissaire européen à l'Agriculture pour encourager la distillation de ce vin en alcool souhaitant que les producteurs puissent constituer des stocks et les revendre, par exemple pour la fabrication de gel hydroalcoolique. Il a proposé que les autorités nationales prennent en charge le coût de cette distillation.