En ces temps de commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918, il est une « exploration » à entreprendre pour connaître un peu la vie, la souffrance et la mort des soldats pouzolais tombés lors des guerres du XXe siècle.

En 2014, le monument aux morts des « Enfants de Pouzols tombés pour la France » a été restauré et une plaque en pierre de lave, présentant les portraits des soldats, a été dévoilée. Le précédent maire de la commune, Louis Pech, a souhaité faire rénover la collection de photos placées là depuis de très nombreuses décennies, photos abîmées par les intempéries. Un tableau, réalisé dans les années 1921-1922 et suspendu à la mairie, a servi de modèle pour élaborer la maquette de cette plaque originale et instructive à la fois.
Pour ne pas les oublier
Gilles Chatillon, graphiste et artiste-peintre local, a collecté les noms, le grade (ou non), la date et le lieu de décès des soldats morts lors de la première et de la seconde guerre mondiale, ainsi que pour l’unique tué de la guerre d’Algérie. Il a fallu scanner toutes les photos, puis restaurer le tableau originel, très abîmé par l’humidité. En naviguant sur internet, Gilles Chatillon a trouvé des artisans situés en Auvergne travaillant sur de la pierre de lave de volcan : bel hommage posthume à des hommes ayant essuyé le déluge du feu et les coulées de boues des tranchée. Bien sûr les noms et prénoms de ces soldats coupés dans l’élan de leur jeunesse, sont inscrits, à l’ancienne, sur la stèle commémorative, ornée d’un coq (comme le voulait la tradition), d’une croix de guerre et d’une silhouette juvénile qui apporte fleurs et couronne de lauriers. Mais la lecture de cette plaque aux vingt-huit portraits, lecture maintes fois renouvelée par les passants, est riche d’enseignements. Le support en pierre de lave d’Auvergne résistant bien au temps, nous rend tellement présente la pâte humaine, bien mieux que de simples patronymes gravés, fut-ce dans le marbre. Les soldats nous regardent, puisqu’ils ont posé, avant ou pendant le conflit, pour l’objectif d’un photographe. Leur vie s’incarne, par la vertu de l’image et par la force des visages.
Evocations imaginaires
L’hécatombe de la Grande Guerre y est numériquement bien visible : 24 sur 28 personnes.

Les uniformes varient selon certains critères (gradés ou sans-grade, uniformes de l’armée ou vêtements quotidiens). L’on voit un zouave débonnaire à côté d’un lieutenant avec gants blancs, épaulettes et décorations. Un hussard exhibe ses galons. L’on croise des hommes « en civil », sans doute la famille n’avait-elle pu fournir de « photo militaire » lors de la collecte des documents, trois ans après la fin des hostilités. Il y a le premier tué, Hubert Acot, en septembre 1914, du temps de « la fleur au fusil » et du « tous à Berlin ». Il y a le dernier tué, Gaston de Fournas, de la famille du baron de Pouzols, fauché le 9 octobre 1918 à Fontsomme dans l’Aisne, si près de la date de l’Armistice que cela ajoute une tonalité cynique à son décès. Certains ont succombé à leurs blessures au village : ainsi un infirmier portant un brassard de la Croix Rouge, un autre jeune homme n’est pas revenu vivant de l’hôpital de Montpellier. Mais la plupart sont tombés sur les champs de bataille du Nord et de l’Est de la France, Somme, Meuse, Pas-de-Calais… après la découverte triste de la grisaille tenace, du froid, de la gadoue collante aux bandes molletières. Se révèlent, les morts d’hiver, et les morts d’été : Joseph Bonnafous, tout barbu et moustachu, décédé à Beauséjour dans la Marne. Est-ce un village boisé en hauteur ? Un sanatorium réquisitionné en hôpital ? Une vallée verte et bien fraîche en ce jour fatal du 10 juin 1915, comme celle où repose « le dormeur du val, sur un lit de cresson »? Les noms de lieux nous parlent d’endroits encore présents dans nos mémoires d’écoliers, Douaumont, Verdun, Côte 304 à Esnes-Est. Et comment s’est-il volatilisé ce « disparu », Emile Vila, à Auberive ? Peut-être près de la rivière Aube en Haute-Marne ? Evocations imaginaires mais néanmoins émouvantes, moments volés à l’oubli déjà, à l’anonymat.
Christiane Lehmann, venant de la terre d’Alsace, si convoitée de part et d’autre au siècle dernier, se rappelle que sur les monuments mosellans et alsaciens, pareillement fleuris de chrysanthèmes lors des commémorations, il n’est pas écrit « Morts pour la France » mais « Morts à la guerre ». Son grand-père, qui a survécu à ces événements terribles, portait lui, l’uniforme des armées du Kaiser.
Christiane Lehmann