Dans sa solide verticalité, des profondeurs de la terre au firmament des cieux, le cyprès a traversé l’espace et le temps. Depuis des millénaires, de sa voix sage et paisible, il parle aux dieux et aux hommes. Sobre sentinelle dressée sur nos chemins ou compagnon entêtant du labyrinthe de nos vies, c’est de ses fragrances d’encens que se parfume la camarde. Arbre de vie, arbre de mort, le cyprès reste là, immuable, à nous rappeler l’éphémère tout en portant au ciel nos rêves d’éternité.

Lors de notre précédente chronique, vous avez pu lire que le cyprès représente encore aujourd’hui un peu plus de 2% du linéaire arboré du canal du Midi. Et même si il s’élance rarement juste au bord de l’eau, planté généralement sur le côté extérieur du chemin de halage ou près d’un ouvrage d’art qu’il désigne, son système racinaire pivotant stabilise les terres. Il ne semble pourtant pas faire partie des campagnes de replantation entreprisent par les Voies Navigables de France.
Les défauts de ses qualités
Avec cet ancrage très puissant, capable de résister au vent et aux affaissements du sol, le cyprès est donc très efficace contre l’érosion des francs bords. En effet sa racine principale s'enfonce profondément à la verticale dans le sol et s’entoure de racines secondaires, se développant latéralement autour d’elle. Cette qualité doublée de celle des alignements denses, paravents des plus efficaces, fait de cet arbre un réel atout pour la voie d’eau. Mais on peut facilement imaginer qu’avec son port parfaitement droit et la compacité de sa ramure, constituer avec lui de longues rangées, de part et d’autre du canal, le transformerait en un interminable couloir « fermé », bouchant toute vue sur les paysages traversés et où l’ombre portée serait très limitée au soleil le plus chaud. Notre canal du Midi deviendrait alors tel l’unique voie d’une sorte de labyrinthe d’eau, dédale insignifiant aux méandres monotones et sévères.
Roi du labyrinthe

Lui qui dresse déjà les pointes de ses exclamations au jardin des arts de la Renaissance italienne, c’est au XVII siècle qu’il se taille la part belle dans les jardins de France et d’Europe. Il va en effet s’imposer en maître des chemins cachés et des jeux de cache-cache, réel complice des secrets ébats des fêtes galantes. Les tout premiers du genre apparaissent au XVe siècle avec Charles V aux jardins de Saint Paul à Paris et ils feront la passion de Charles Quint qui en aménagera dans chacun de ses châteaux. Avec Madame de Sévigné en Bretagne, Buffon au jardin des Plantes et Le Nôtre pour Chantilly et à Versailles, le labyrinthe de cyprès prend sa place dans « le jardin à la française » du XVIIe. Docile, l’arbre participe à cette « domination » de la main de l’homme sur la nature. Ces aménagements suscitent alors un réel engouement dans toute l’Europe. Il trace ainsi son chemin de Naples à Paris en passant par Madrid. Et il va même jusqu’à Londres, où pourtant l’esprit « nature » domine. Il y est en effet question de « Cypress garden ».
Prince des jardins sculptés

C’est dans ce même courant de l’art des jardins que se découvre celui des « topiaires » (étymologie : ars topiaria signifiant art et paysage ) déjà pratiqué dans l’Antiquité et qui va suivre la même voie, passant par la Renaissance italienne pour s’épanouir au XVIIe. Le cyprès, aux côtés du buis et de l’if, se prête merveilleusement à la main de l’homme, épousant toutes les formes et les volumes les plus audacieuses et parfois étonnantes. Les jardiniers « royaux », de Jacques Boyceau puis Claude Mollet pour Henri IV et Louis XIII suivis de Le Nôtre sous Louis XIV le magnifieront. Les deux derniers cités vont alors imaginer les parterres à compartiments et les « broderies » végétales sur un plan horizontal.
Un sacré bois précieux

Réputé imputrescible, résistant aux épreuves du temps et des tourmentes, le noble bois du cyprès servit aux sarcophages égyptien, cercueils sacrés des pharaons. Ceux-ci inspirèrent bien des sépultures dont celles de plusieurs papes. Si chez les Grecs et les Romains, le cyprès ornait les nécropoles, la légende dit encore qu’Hiram l’architecte choisit son bois pour construire le plancher du temple de Salomon et que ce même bois, avec l’olivier et le cèdre, est celui de la sainte Croix du Christ, mais aussi du sceptre de Jupiter et de la flèche de Cupidon. Une éternelle vie entre Eros et Thanatos que notre arbre confirme bien avec son « feuillage » persistant et son véritable nom latin de Cupressus sempervirens, cyprès « toujours vert ». Ce qui n’est pas sans rappeler les cris lancés lors des sacres et couronnements de rois : « Vivat vivat semper vivat », « qu’il vive, qu’il vive, qu’il vive éternellement ». Au XVe siècle cette acclamation accompagnait encore le cortège funèbre des rois de France.
Parfums d’éternité
Quant à ses effluves aux parfums d’encens, elles lui ont octroyés aussi cette importante part d’aura dans le « sacré ». Cet encens de cyprès était censé permettre de communiquer avec les régions souterraines et le reliait au culte d'Hadès, dieu des Enfers. Mais, si il n’est pas le fameux « boswellia sacra », véritable arbre à encens, le cyprès sécrète bien une résine odorante qui depuis l’Antiquité, fut reconnue par les Grecques comme un encens de prière favorisant le passage vers les mondes supérieurs et à l'élévation spirituelle. C’est peut-être cette vertu qui le désigna en phytothérapie comme remède efficace pour calmer les migraines et les maux de tête… Son fruit, qui est une noix, est également au service de la pharmacopée végétale qui le préconise dans bien des cas, au profit de la bonne santé. N’oublions pas aussi que pour nos chères abeilles le cyprès est un compagnon de vie bien utile. Son pollen, tant craint par beaucoup d’entre nous pour les allergies, représente une aubaine printanière pour la ruche où s’élève le nouveau couvain tandis que sa résine offre, au cœur de l’hiver, un exsudat qui servira à nos filles de l’air à fabriquer de la propolis.
Funeste cyprès… quel injustice ! Notre arbre est bien symbole de vie… immortelle ? On peut rêver !
Véronique Herman