
Reportage par Franck Turlan
C’est l’hiver, « à nouveau » ou « déjà », on ne sait plus très bien. Pour beaucoup, il n’y a plus ni saison, ni agenda. En ce lundi 30 mars, qui marque l’entrée dans la troisième semaine de confinement généralisé, l’ambiance est glaciale dans le Minervois. Pas seulement en raison des 5°C d’un air ventilé à plus de 50 km/h par le cers, qui a retrouvé la plénitude de ses poumons, lui… La campagne et les villages restent figés, comme s’ils étaient entrés dans une ère de glaciation sociale, l’ère du coronavirus.
A Homps, le quai du canal du Midi est évidemment déserté, restaurants et capitainerie fermés. Les péniches de location, qui auraient dû commencer à sortir depuis le 17 mars, restent amarrées en rangs serrés, volatiles de plastique que l’on imagine résister ainsi au froid de canard. Un bruit de moteur de camion résonne soudain dans les rues : c’est l’entreprise Bourrel qui s’en va livrer du fioul pour le chauffage. Car, oui, cet hiver viral s’annonce résistant…
Le silence est d’or dans les villages du Minervois ce matin, seulement troublé par de rares voitures et, parfois, par la fréquence d’une perceuse ou d’une meuleuse. C’est la saison du bricolage d’intérieur. Dans Azille, un bruit de marteau perforateur fissure la nappe de silence : un artisan solitaire réduit en poussière un vilain enduit ciment, qui empêchait jusqu’ici une maison ancienne de « respirer ». Il ne porte pas de masque…
« C’est un masque Bachelot »
Ce n’est pas le cas de Bernard*. Derrière un masque de chantier, il attend son tour sur le bitume de la promenade, le temps de recevoir ses médicaments des mains gantées de la pharmacienne. La vue de mon appareil photo le remplit de joie, lui qui me confie avoir l’habitude de prendre une cinquantaine de clichés chaque jour, dans le Minervois ; il commence à se lasser d’être restreint à leur seul classement. « Je m’em-mer-de », me dit-il en détachement les syllabes, comme le Jean Gabin d’Un singe en hiver… Mais la voix étouffée sous un masque de chantier. « Faites-voir ; oui il est bon : c’est un FFP2 », le rassure d’ailleurs Nicole, la pharmacienne, qui nous a rejoints à l’extérieur de son officine. « Moi, j’ai un masque qui date de 2009. C’est un masque Bachelot », me dit-elle, soulignant combien cette ancienne ministre de la santé avait eu raison « trop tôt », en commandant préventivement des millions de masque pour lutter contre l’épidémie de grippe H1N1. « Ils fonctionnent encore très bien. Pour certains, il y a juste un problème avec les élastiques ». Pas de peur apparente chez elle, mais des précautions : « on met des blouses sur nos vêtements, que je lave tous les soirs à 60°C ».
Siran, Cesseras, Azillanet : excepté la supérette ouverte dans le premier village, tout est fermé ce lundi. Le Minervois semble entré en hibernation. Des signes de vie sont quand même là, au ralenti, dans les vignes où de petits groupes taillent malgré le froid, et donc aux abords des pharmacies… ou des bureaux de tabacs. A Olonzac, le tabac-presse de Jérémy est la seule porte ouverte ce midi sur les allées. De rares passants viennent directement faire le plein de cigarettes. « Les gens fument français. Je vois de nouvelles têtes. Grâce à ça, mon chiffre d’affaires n’a baissé que de 30 %», dit Jérémy, avec un sourire qui semble vouloir réchauffer l’ambiance. « Mais bon, ça s’annonce difficile : comme les gens auront moins d’argent, on va avoir beaucoup moins de touristes cet été ». Une prévision qui jette un froid. Vivement le vrai printemps !