La Semaine du Minervois

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Chronique au fil de l’eau : cet œil d’un brillant éclat de verre… très politique

7 juin 2022 By Redaction

Quand, au temps des terres nouvelles et des colonies, les élégants ocelles de ce lézard nommé “rassade” jettent un regard sombre vers l’Afrique et les Amériques, ils croisent les méandres tumultueux de la route du sucre, du troc, des esclaves et de la spéculation d’une diplomatie peu scrupuleuse…

Telle une fine étoffe parfaitement lisse, parsemée de motifs semblables à des yeux colorés, la peau de notre lézard ocellé rappelle les parures confectionnées de coquillages d’Afrique et d’Amérique. © V.Herman

Comme nous l’avons présenté dans notre précédente chronique, le lézard ocellé tient son nom vernaculaire de “rassade”, issu de l’italien razzare qui signifie briller. Dès le XIVe siècle, il s’étend au verbe “raser” dans le sens de “rendre brillant”, aussi lisse et étincelant qu’une perle… précieuse ou de pacotille ! Certes notre glabre petit dragon coloré n’a guère besoin d’un fil aiguisé pour le rendre poli et lustré, mais l’extension du mot qui a désigné des perles de verre colorées, généralement de teinte turquoise, lui colle ainsi à la peau. Et ces verroteries semées dans le labyrinthe de l’histoire vont nous guider dans les sillages de bateaux voguant sur des mers parfois bien houleuses.

Ces précieux bijoux de pacotille

Ces perles de verre ont été trouvées dans le nord de l’Alaska. Les expertises scientifiques semblent démontrer qu’elles auraient été fabriquées à Venise, en Italie, vers 1400, soit avant le premier voyage de Christophe Colomb. Ce qui prouverait des échanges entre les peuples grâce au nomadisme commercial, sans doute par voies de terre et fluviales. © DR

Le terme de rassade est donc utilisé à la Renaissance pour désigner ces jolis grains fabriqués par les verriers vénitiens. Mais, dès le XVIIe, le mot s’étend aux perles constituées avec des coquillages façonnés et poncés, que ce soit en Afrique ou aux Amériques. Bijoux, ceintures ou parures d’apparat, leur valeur peut être à la fois symbolique, sociale voire politique. Leur couleur et leur forme correspondent au rang de celui qui les porte mais aussi à la signification du message qu’elles transmettent lorsqu’il s’agit de les échanger ou de les offrir. Plus elles sont blanches et limpides, plus elles expriment la paix, la sérénité voire s’associent à la pureté ou à la naissance. Si elles sont foncées, elles annoncent la discorde et parfois la guerre ou sont encore signe de mort et, en violet bleuté, marque de deuil. Le comte Louis-Antoine de Bougainville, officier de marine, prestigieux écrivain et grand navigateur, en fait mention au retour de son tour du monde en 1769 (premier exploit pour la France) – “Ces grains de rassade dont on fait des colliers” – et en constate l’importance dans les relations avec les habitants de bien des terres lointaines.

De troc et de traite

Rassades ou ocelles… yeux lumineux d’élégance comme ceux garnissant la parade du paon que voilà ici habillant de parodie l’arrogant Louis-Antoine de Gontaut, duc de Biron. Peinture d’un anonyme datant du XVIIIe siècle. © DR

Ces petits grains de verre ont en réalité déjà été utilisés depuis l’Antiquité. Ils étaient monnaie d’échange entre les peuples et ont traversé les continents. Si cet usage a plus ou moins été abandonné au cours du temps, les prémices de l’ère coloniale et les découvertes des “terres nouvelles” ont relancé cette pratique. Il s’agit en effet pour les colons d’en offrir “diplomatiquement” et à peu de frais, en échange des présents reçus par les dignitaires autochtones. Très vite, ces verreries vont alors servir de monnaie pour le troc des produits locaux à remporter vers l’Europe… Produits, oui mais pas que ! Car il s’agira aussi et surtout d’acheter, de la même façon, des esclaves...

D’hommes, de femmes et de pacotilles

Coupe de l’aménagement d’un bateau négrier tel le fameux “Languedoc” au service des États de la belle Province pour laquelle, au XVIIIe siècle, il était chargé de la traite des esclaves entre l’Afrique et les “îles d’Amérique” qu’étaient les Antilles. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il partait du port de Sète pour effectuer ses fameuses traversées négrières. © DR

Rapidement ce système de négoce se développe avec l’avènement, au XVIIe siècle, du commerce triangulaire entre l'Europe, l'Afrique, les Amériques et ses îles nouvelles que sont les Antilles. Comme nous l’avons décrit dans une précédente chronique, c’est sous Louis XIV que l’important négoce du sucre mais aussi la culture dans les plantations en “outre-mer”, avec leur besoin de main d’œuvre, qui seront principalement à l’origine de la mise en place de l’indigne traite d’êtres humains. Face à l’ampleur monstrueuse de ce système, le besoin de produire de grandes quantités de cette monnaie de perles va donc très vite se faire ressentir. On fait alors venir des coquillages des Antilles, on tente des imitations en terre cuite émaillée ou en porcelaine. Mais c’est surtout en verre, brillant et coloré, que la fabrication va s’imposer et en production massive. Ces pacotilles clinquantes vont dès lors faire la valeur de chaque esclave acheté. Un homme vaudra deux fois le prix d’une femme et si la personne est de ”sang mêlé” elle vaudra plus que tout autre.

Au port de Sète

Gravure J.-B. Scotin de 1722 illustrant “La Potherie” dans Histoire de l’Amérique Septentrionale – des bijoux indiens composés de perles de porcelaine. Ils rappellent les présents offerts aux colons qui, en échange, donnaient des rassades de verre coloré. © DR

Ces verroteries se produisent par dizaines de milliers. Si il s’en fabrique en Hollande et en Angleterre, il s’en fait peu en France (notamment à Briare) où elles arrivent principalement d’Italie dans les ports de Marseille puis de Sète, devenu lui aussi “port négrier”. Sur les quais, il s’échange des bourses de rassades avec les capitaines des bateaux qui arrivent d’Afrique chargés de leur indigne cargaison. Précautionneusement empaquetées dans des sacs, ces “camelotes” accompagnent ensuite les pauvres esclaves sur les navires à destination des colonies. Dans une moindre mesure, les barques de patrons du canal Royal du Languedoc en emportent également pour gagner Bordeaux et les ports de l’Atlantique où s’est développée l’ignoble pratique de la traite des esclaves. Progressivement remplacées par l’argent, ces rassades à l’usage de “monnaie de traite”, jetant de la “poudre de verre” aux yeux des pauvres crédules, perdurera malgré tout durant trois siècles.

Si au détour d’un muret de pierres sèches ou dans la garrigue, vous avez la chance de croiser notre fameux lézard ocellé, sa robe émeraude garnie du turquoise de ses belles rassades, sachez que celles-là ne se négocient pas ! Et surtout ne tentez pas de les emporter.

Véronique Herman

Classé sous :Actualités Balisé avec :billes, chronique au fil de l'eau, commerce, rassade, Sète, traite négrière, verroterie

Chronique au fil de l’eau : raffinement d’un port, doré au sucre pour un Languedoc florissant

9 juillet 2021 By Redaction

Ambition d’un roi, clairvoyance d’un ministre et génie d’un homme par la création du canal du Midi qui vint au profit du port de Sète, porte ouverte sur la Méditerranée en aboutissement du grand œuvre de Pierre-Paul Riquet et devenant, sous les auspices économiques aux valeurs très sucrées, un havre de bonne fortune pour la Province du Languedoc.

Sur l’exemple de Marseille

1908, une barque de patron du canal du Midi ayant atteint le port, chargée de ses demi-muid pleins de vins

Si Riquet avait pu vivre vingt ans de plus… il aurait, non seulement, célébré la gloire de « son » canal enfin terminé mais aussi pu s’enorgueillir de tous les effets bénéfiques que cette voie royale apporta entre Océan et Méditerranée tant au Languedoc qu’au Royaume de France. C’est ainsi que concernant le port de Sète, sujet qui nous occupe ici, les écrits de P.-M Bondois, (annales du Languedoc de 1924) nous éclairent sur des projets ambitieux. Ils nous prouvent que les autorités de la Province et du pays, rejointes par les instances locales, vont s’attacher à développer « le port de Cette, dont la création était due à la patience de Colbert, aidée des conseils de Vauban et du chevalier de Clerville et du génie de Riquet, en y créant de nouvelles industries particulièrement productives. Parmi ces tentatives, il était tout naturel que l'on pensât à un des commerces les plus rémunérateurs, celui du sucre, qui florissait dans la grande cité rivale, Marseille, et qui, par la fondation d'usines et raffineries, présentait le double avantage d'enrichir les villes de la métropole et d'assurer un débouché constant aux productions des colonies. »

Jusqu’aux Îles d’Amérique et au Canada

C’est donc en 1701, que les États du Languedoc étudient un mémoire proposant d'établir une raffinerie au tout nouveau port de « Cette » afin d’y exploiter les sucres bruts provenant des Antilles, nommées alors « les Îles de l'Amérique ». Par cette nouvelle activité le but était aussi de développer la marine du port, en équipant des vaisseaux pour partir aux îles chercher la matière première nécessaire, ce qui offrait également d’exporter aux colonies les produits des manufactures de la province, dont les colons étaient très amateurs. Cette proposition stipule encore que « Cet établissement ne peut qu'être avantageux pour le Languedoc, pays des plus florissants, et auquel ne manque que le commerce maritime, commerce que peut entreprendre et soutenir quelques négociants locaux, qui sont opulents, ce négoce pouvant donc être poussé aussi loin que dans aucun autre port du royaume, pour les Iles de l'Amérique, la Nouvelle-Espagne, la Guinée et le Canada… » Il s’agissait en effet d’une belle opportunité pour exporter « …vins, eaux-de-vie, huiles, draps, petites étoffes de soie et de laine, qui, comme il est écrit, sont d'un grand débit dans ces pays éloignés. »

Édulcorants privilèges royaux

Au XIXe siècle les cônes de sucre étaient encore d’usage, ces pains de sucre étaient cassés en 35 à 45 morceaux disposés ensuite en pyramide sur les tables. La « poussière » et les éclats servaient pour fabriquer par exemple les limonades. Au XIIIe siècle, en Italie, existaient déjà les «cônes de Venise ». Ici un cône et son moule

En ce XVIIIe siècle naissant, le sucre a un tel poids sur l’économie nationale qu’il offre aux localités possédant des raffineries de bénéficier de privilèges importants. Ainsi des lettres de patente les exemptent de nombreuses taxes dont, surtout, celle du droit d'entrée pour les sucres. Sète compte donc bien se hisser à la hauteur de ces lieux. Le projet très ambitieux mis à l’étude va cependant devoir faire une pause suite aux différents conflits, dont ceux avec l’Angleterre. Les attaques britanniques qui menacent généralement la Bretagne s’étendent et amènent les Anglais jusqu’au large de Sète. Ils occuperont même le port durant quelques jours en juillet 1710. Si le « pré-carré » de Vauban est bien gardé, les provinces frontières et côtières, y compris le Languedoc éloigné de cette « perfide Albion », sont donc sur la défensive.

Des Marseillais à Sète

Si un temps on crut l’entreprise abandonnée, aux hostilités apaisées l’établissement d’une raffinerie à Nîmes va relancer les ambitions sétoises… et marseillaises ! En effet, de fins « négociateurs négociants » de la cité phocéenne vont persuader les députés des États du Languedoc de les aider à fonder une raffinerie à côté du port. Convaincants, ils recevront des « primes » sur les quintaux de sucres bruts qu’ils feront venir des Antilles et des « subventions » pour les aider à construire les « magasins » et établissements sur place mais aussi à Saint-Domingue et à la Martinique. Fort de cette réussite, en 1717 le port va donc accéder aux statuts privilégiés dont jouissaient alors à Rouan, Dieppe, La Rochelle et Bordeaux où avaient fleuri des raffineries.

Relais des Montpelliérains

Croquis de 1667 d'un moulin à sucre de la Compagnie des Indes occidentales

Dans « Le parfait négociant » de J. Savary de 1765 on découvre des arrêts du Conseil d’Etat datant d'avril 1717 stipulant que « les sucres expédiés en Espagne et en Italie doivent passer par Cette, Agde et Bayonne… ceux aux Pays-Bas, par Auxonne et Lille ». Sète est ainsi installé au rang des ports « incontournables » au cœur de cette industrie du sucre qui s’est mise en place. C’est alors que, de Montpellier, arrivent les frères Gilly dont l’un d’eux est député du Languedoc au Conseil de commerce. Réputés comme  « hommes fort habiles au négoce », ils viennent se positionner au sein de ces activités industrielles florissantes, bien décidés à bénéficier eux aussi des privilèges accordés aux raffineurs et à participer au développement de la ville. La famille Gilly est connue pour ses fabriques de drap à Montpellier. Ils y produisent la Yécarlatine (étoffe de laine rouge), des sempiternes ou perpétuanes (étoffes de laines croisées) et entretiennent des relations commerciales avec Cadix et la côte de Guinée. Les activités sucrières et le port de Sète représentent ainsi un levier extraordinaire pour l’ensemble de leurs « affaires ». Après plusieurs décennies, âgés, ils renoncèrent à leur industrie sucrière remettant dans les mains de leur neveux les rênes de député tout en le plaçant directeur de la très convoitée « Compagnie des Indes ».

Cette étape de la raffinerie de Sète sera donc primordiale dans le développement portuaire, port qui dorénavant a acquis son statut de grand port exportateur à l’instar de Dieppe, Le Havre, Rouen, Honfleur La Rochelle, Bordeaux et Bayonne. La petite cité au bord de l’étang de Thau va se trouver dès lors au carrefour du commerce, ayant elle aussi le pouvoir de « faire transporter par terre… et par le canal Royal du Languedoc… en pays étranger les sucres terrés et les cassonades, l'indigo, le gingembre, le rocou et le cacao, provenant des Isles et colonies françaises, et les faire passer au travers du Royaume, sans payer aucun droit d'entrée ou de sortie »

Aaah ! Si Riquet avait pu vivre cela !

Véronique Herman

Classé sous :Actualités Balisé avec :canal du Midi, Cette, chronique au fil de l'eau, Compagnies des Indes, Indes, Sète, sucre

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