Aux premiers soupçons sur la langue des plus grands, il a séduit. Puis de ses petits grains, à l’exquis goût suave, les plus nobles tables il a conquises. D’aliment de luxe et d’onéreux remède, il est devenu indispensable et, comme au vin, au blé, aux huiles ou aux draps, Pierre-Paul Riquet lui a offert une voie royale pour ses voyages entre Mer Océane et Méditerranée.
Certes cette histoire ne commence pas là, mais nous la débuterons en ce XVIIe siècle, époque à laquelle s’attachent particulièrement les liens de notre chronique. Et de lien il en est bien question puisque nous allons vous parler du sucre, cette substance caractéristique, notamment, de la sève du frêne et de l’érable, précisément parmi nos précédents sujets.
Sève et dragées de la Nouvelle-France

Le Roi-Soleil, à la fois attiré par les nouveautés et curiosités culinaires, est aussi très friand des mets aux saveurs douces, plus encore lorsque ceux-ci font partie des consommations d’exception, signes ostentatoires des élites saluant cette gastronomie que le souverain veut à l'image de sa monarchie, faste et raffinée. Et tout ce qui touche alors au sucre en fait partie. C’est ainsi qu’il n’aurait pas résisté à cette eau d’érable, que l’on dit fortifiante et aussi douce qu’un sirop de miel, puis qu’un siècle plus tôt, un compagnon de Jacques Cartier avait trouvé « d’autant bon goust, delicat que le bon vin d’Orleans ou de Beaune». Et c’est sans parler de ces singulières dragées faites de suc de ce même arbre que le roi distribuait à sa cour et que cette même Agathe Le Gardeur de Repentigny lui envoyait, par bateau, depuis la Nouvelle-France. Cette audacieuse femme de tempérament exporta également des étoffes à la cour de Versailles. Inspirée par les traditions amérindiennes, elle fabriquait ses textiles avec de la laine de bœuf et des fibres végétales (arbres et orties) pour remplacer le chanvre et le lin. Elle est aujourd’hui considérée comme la première à avoir créé une manufacture de tissage au Canada et à avoir commercialisé le sucre d’érable qu’elle fit connaître en France.
Remèdes des « loyales confitures »

Le premier et seul édulcorant utilisé par l’homme durant des siècles fut le miel, la canne à sucre, dont le berceau originel est la Nouvelle-Guinée, n’étant découverte que « tardivement » en Inde par les Perses conquérants. Ils la désignaient comme « un roseau qui donne le miel sans abeilles ». Son usage en Occident, à l’instar des épices, comme lui rapportées aux dernières croisades, devint de plus en plus recherché. Malgré le plaisir d’offrir enfin des saveurs aux grands banquets et festins royaux, si tristes d’une nourriture bien fade, ce sucre de canne restera pourtant longtemps considéré comme un médicament. Avec l’eau d’érable, il fait en effet partie des remèdes dits revigorants pour les malades, les anciens et les femmes infécondes, sous la forme de sirops, confitures et dragées dont les bonimenteurs ventent les vertus. A l’apothicaire avare en sucre dans ces préparations il sera dit qu’il ne fait pas de « loyales confitures ».
Les recettes de Nostradamus

Occasion ici d’oublier les « talents » prophétiques de Nostradamus pour nous attarder un peu sur son côté apothicaire, qui au XVIe siècle, l’inspira dans la publication d’un « Traité des confitures ». Outre le miel, il y préconise ces nouveaux ingrédients que sont le sucre et les épices pour accompagner des fruits et légumes. L’ouvrage dans lequel sont largement annotés les détails quant à la description des ustensiles particuliers (sucrier ou cuillère à poudrer, pince à casser le pain de sucre ou encore les écumoires), les médications laxatives, contre les chaleurs du cœur ou du foie, ou les considérations économiques, dont celles sur le coût excessif du sucre, eu un tel succès qu’il fit l’objet de plusieurs rééditions également au XVIIe siècle. Et si nous avons découvert sous la plume de de Mireille Oblin Brière dans son livre « Riquet, le génie des eaux » qu’il subsistait, aux archives, la trace de l’achat par ce dernier d’un ouvrage de Nostradamus, nous pourrions imaginer qu’il ne s’agisse pas « Des Prophéties » mais peut-être de ce traité. En effet le sieur Riquet était gourmand ! Dans « Pierre-Paul Riquet : L'incroyable aventure du canal des Deux-Mers » par une autre auteure de talent, Monique Dollin Du Fresnel, nous voyons que notre baron de Bonrepos, tout comme son roi, aima les choses douces à se mettre sur la langue… et sous la dent, au risque de la bien gâter et de la perdre… toujours à l’image de son souverain qui finit édenté! Dans ces écrits il est en effet question de voyages et de transports de vin de Muscat de Frontignan ou de liqueurs, plus particulièrement de cette fameuse « eau de Septe », liqueur de plantes à l’essence d’anis distillée, à l’esprit de vin et de sucre clarifié.
Nous vous réservons la suite de cette petite chronique douce la semaine prochaine, poursuivant cette aventure du sucre qui de Toulouse emprunta le canal Royal du Languedoc, montant à bord des barques chargées d’épicerie, de savon, de teintures et de laines en provenance de Bordeaux. Puis qui, telle une addiction, envahit le monde, dissimulant derrière ses délices et sa réalité économique les pans les plus abjects de son histoire…
Véronique Herman