
Les souvenirs des dégâts des inondations sont toujours bien présents dans la mémoire collective de la région. Les rivières descendant les massifs étant pour la plupart « corsetées » (action de contrôler la rivière en l'encadrant de murs ou de digues), elles ne peuvent se décharger de l'énergie accumulée par la pente lorsqu'elles sont encore en montagne et c'est donc dans la plaine qu'elle se libère générant les dégâts les plus fracassants. En effet, lorsqu'une rivière ne peut rogner ses berges et accumuler des solides (galets, graviers, roches) elle ne peut ralentir son débit et creuse en profondeur, dévorant souvent les fondations de ces constructions qui s'affaiblissent jusqu'à leur effondrement. « C'est un peu comme si vous faisiez une randonnée avec un sac à dos vide ou chargé de 40 kg » explique un expert « nul doute que vous ferez le chemin moins rapidement avec un sac à dos chargé. Il en va de même pour les rivières qui sont plus lentes lorsque chargées de matière».
Ne pas reproduire les mêmes erreurs... et pourtant
Malheureusement, suite aux derniers épisodes torrentiels, les subventions allouées à la reconstruction des dégâts causés par les inondations ne pouvaient l'être que si l'on reconstruisait à l'identique. Immanquablement, une telle logique ne pouvait mener qu'à la reproduction des mêmes problèmes ayant causés lesdits dégâts. Il fallait donc agir en amont, tant géographiquement que temporellement pour dissiper l'énergie dans les endroits le permettant, généralement entre les agglomérations, car il est bien plus complexe de réaliser cet objectif en raison de structures inamovibles comme les routes, les ponts ou les murs de soutènement plus denses dans les villages.
Le Syndicat Mixte Aude Centre, le Conseil régional Occitanie et l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse subventionnent actuellement un projet de recherche porté par le CNRS (Université de Paris, laboratoire PRODIG - Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique). L'objectif vise la mobilisation de traceurs actifs (technologie RFID) comme outils d’évaluation et de suivi du transport solide (galets) en rivière. En effet, le 21 décembre 2020, les 100 délégués du Syndicat Aude Centre ont délibéré favorablement à l’unanimité ce partenariat à cette recherche dont le coût s’élève à 25 000 € répartis comme tels : Agence de l’Eau RMC 50 %; Conseil Régional 30 %; Syndicat Mixte Aude Centre 20%.
Une concentration d'efforts efficace
Une application aux cours d’eau du Minervois de la rive gauche de l’Aude (Argent Double, Clamoux) a fait l’objet d’une première mission de terrain du 28 février au 5 mars derniers avec l’équipe scientifique constituée de Gilles Arnaud-Fassetta – Professeur, université de Paris / UMR PRODIG ; Paul Passy – Maître de conférences, université de Paris / UMR PRODIG ; Olivier Theureaux – Étudiant stagiaire Master DYNARISK – Dynamique des milieux et risques, université de Paris / UMR PRODIG et Gabriel Melun, Chargé de mission recherche « Hydromorphologie et gestion sédimentaire », OFB – Office français de la biodiversité. Ces cours d’eau sont en effet suivis par Gilles Arnaud-Fassetta et son équipe depuis plus de 20 ans (durée d'étude sur un seul lieu plutôt rare en France) accumulant et étudiant de nombreuses données.

Le programme de la semaine était plutôt chargé:
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Relevé topographique par drone dans les zones en cours de restauration des deux rivières (Argent Double, Clamoux) ;
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Réinjection de 170 galets équipés de « pit tags » actifs dans le lit des deux rivières (Argent Double, Clamoux) et de quelques-uns de leurs affluents ;
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Cartographie hydro-bio-morphologique des sites d’étude sur les deux rivières (Argent Double, Clamoux) ;
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Relevé de l’incision du lit des deux rivières (Argent Double, Clamoux) de la source à la confluence ;
Une rencontre sur le terrain de tous les acteurs du projet s'est déroulée le mercredi 3 mars 2021 entre les chercheurs universitaires, l’OFB, les gestionnaires de l'Agence de l’Eau, d'Aude Centre et les techniciens du SMMAR. En effet, des allers retours constants entre recherche universitaire et pratique sont nécessaires pour un suivi optimal des opérations. Après une présentation de la problématique liée à la question de la restauration des lits de rivière, une visite du site de l’ancienne décharge sur l’Argent Double en aval de Caunes-Minervois s'est déroulée durant laquelle deux manipulations ont été réalisées : la réinjection de galets équipés de capteurs actifs pour suivre le transport alluvial et le bilan sédimentaire sur 5 à 6 ans, ainsi que le relevé topographique de la bande active de tressage de l’Argent Double au moyen d’un drone équipé d’un appareil photo haute résolution.
Des galets qui évoluent
C'est en 2004 que les premiers contacts se créent avec le Syndicat de Bassin Clamoux Orbiel Trapel. Un suivi du transport solide sur la Clamoux a été réalisé par plusieurs binômes d’étudiants avec l'implantation de ces galets dans le cours d'eau et une campagne de prospection de 4 mois pour étudier leurs déplacements. Ces galets actifs sont désormais détectables à 80 m de haut grâce à un drone facile à manipuler. Ce n'était pas le cas en 2011, lors du début du projet. En effet, il y a 10 ans les galets étaient passifs et uniquement détectables à 40 cm de distance. Suite aux différentes mesures, les scientifiques ont constaté des déplacements de 250m à 500m par an en moyenne. À cette technologie de suivi, ce sont ajouté de nouveaux moyens techniques tels que l'imagerie photo satellite et la photogrammétrie (mesure par le croisement de clichés photo). « Les cours d'eau se métamorphosent naturellement sur de longues périodes alors que l'homme les modifient très rapidement. La Clamoux était engoncée dans un seul chenal de 10m de large entre des murs alors que maintenant plusieurs chenaux sont répartis sur plus de 80m de large» déclare Gabriel Melun, Chargé de mission recherche « Hydromorphologie et gestion sédimentaire » de l'OFB.
Les résultats, consignés dans plusieurs études sont extrêmement intéressants et révélateurs du manque de connaissances sur ce phénomène. Les conclusions donnent des éléments très précieux pour gérer les stocks alluvionnaires de manière responsable mais surtout utile. Ces résultats ont été immédiatement présentés aux élus du syndicat qui se sont montrés intéressés par la démarche; étant eux-mêmes constamment sollicités par les riverains sur les phénomènes de dépôts et d'atterrissements de grave.
Continuer d'apprendre...
Ces acquisitions de connaissances serviront de référentiel pour les bassins versants voisins au comportement similaire comme l'Argent-Double et la Cesse. « Le bassin-versant du Syndicat Aude Centre est un laboratoire sur la thématique des espaces de bon fonctionnement qui allient l’amélioration de la qualité des cours d’eau et la prévention du risque inondation. Le partenariat financier que nous portons avec l’Agence de l’Eau et la Région sur l’étude de l’université Paris 7 est riche d’enseignement et d’application concrète sur le terrain. Les aménagements effectués se font en concertation avec les propriétaires riverains dans un projet d’aménagement de territoire qui prend en considération la protection des populations, le maintien des activités économiques et les différents usages de l’eau. Cette expérimentation est suivi de près par le SMMAR pour une application sur d’autres bassins-versants » déclare Christian Magro Président du Syndicat Mixte Aude Centre.
Afin d'en finir avec les inondations causées par des aménagements inadéquats, il faut donc réfléchir avant d'agir, mais sans trop attendre. Un délicat équilibre auquel s'ajoute l'impact de la perception des riverains sur ces aménagements. Les terrains acquis par le SMAC pour la "renaturalisation" des rives représentent un investissement sûr pour le futur, qui, même s'il est moins visible qu'une digue pour les citoyens, est bien plus efficace pour éviter les dégâts.
Tristan Geoffroy