De l’existence des génies de l’eau jusqu’à celle des plus modestes travailleurs, ces destinées ont été précipitées dans le courant effréné des grands travaux hydrauliques de l’époque et aucune n’aura échappé aux vapeurs éphémères comme aux souffles parfois amers de la vie.

Est-ce cette atmosphère inquiétante, engendrée par les assauts d’une épidémie de peste qui n’en finit pas de décimer les populations et de la menacer de « la mort noire » ? Sont-ce ces atroces pratiques d’envoyer des jeunes enfants de la misère pour « tester » de leur vie si le mal est vraiment là dans ces foyers que l’on soupçonne d’être contaminés? Est-ce encore le contraste des excès. Ceux d’un XVIIe siècle qualifié, par ses extrêmes, de « saint et de libertin », qui voit, dans les salons et à la cour d’un roi exigeant la piété et les fêtes très galantes, débauche, athéisme et dévotion se frottant allégrement l’une à l’autre ? Est-ce de tout cela qu’est né le mouvement artistique et littéraire dit « des Vanités »? Très certainement.
Plaire aux nobles surtout

Il est vrai que, alors que notre bon Riquet court et brûle sa vie sur tous ses gigantesques chantiers, ce courant qui traite de l’arrogance futile du savoir, de la gloire, des richesses et aussi de la beauté face à l’inexorable temps qui passe, existe déjà depuis la fin du siècle précédent. Il s’agit pour le peintre comme pour le poète de dénoncer toutes ces choses vaines, qui pourraient être qualifiées de laides en pratiquant pourtant une « esthétique du beau ». Maître de l’illusion, par les mots ou le pinceau (notamment en « clair-obscur »), l’artiste cherche à plaire et tout particulièrement aux nobles et aux bourgeois, ceux-là même dont il se plaît à ruiner les us et coutumes au nom de l’inexorable « finitude » de l’existence.
A la hauteur de l’orgueil des « Grands »
Évoquer cette démarche n’est pas sans rappeler précisément les contradictions de cette société française qui s’oppose et le contexte des inégalités sociales. Mais c’est aussi se souvenir des déboires de notre Sieur Riquet qui, pugnace, se battra pour réaliser son œuvre tout en tentant de ménager des conditions « décentes » aux milliers de pauvres bougres que ses durs chantiers vont exténuer et dont précisément, telle une « contre-vanité », la vie n’aura de valeur que celle de leur labeur! Cela notre « entrepreneur » du Canal Royal du Languedoc s’y efforce en opposition aux sévères diktats de son monarque et aux quasi-persécutions de son grand argentier, à qui il est rapporté que Riquet est « trop complaisant » et emploie « les garnements et les fainéants des villages »*!
C’est encore évoquer ce tourment permanent qu’il eut jusqu’en 1674 de « prouver » son titre de Baron de Bonrepos. Lui dont les origines sont en réalité modestes, celles d’un aïeul couturier et d’un père procureur à Béziers*, il voulut se trouver des ancêtres aristocrates… le doute subsiste! Ce besoin d’élévation à la noblesse était quasi viscéral chez lui. « Vanité », nécessaire pour accéder au monde des « Grands » et être reconnu comme tel, que lui accorda Louis XIV grâce à « son » canal et ses services rendus pour la gloire du Roi Soleil.
Puis enfin c’est encore savoir qu’il lui fallut convaincre, lui qui n’était ni géographe ni ingénieur… comme son jeune bras droit, Andréossy, dont le père était banquier… Convaincre jusqu’au bout, de la fiabilité absolue de son canal, justifier chacune des entreprises confirmant la qualité-même de l’ouvrage dont, comme un signe de ces fameuses « Vanités », il ne verra même pas l’aboutissement puisqu’il mourra, ruiné, 7 mois avant l’achèvement des travaux et la mise en navigation officielle du 22 mai 1681.
Véronique Herman