La Semaine du Minervois

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Chronique au fil de l’eau : au temps où le vin d’Algérie était français

2 avril 2022 By Redaction

Comme un fil rouge qui noue et dénoue ses liens en chacune de ses haltes et de ses ports, se déroulant en douceur au travers du Languedoc, le canal du Midi a tracé l’histoire de la route des vins, entre Toulouse et Sète et bien au-delà… Et c’est ainsi qu’un jour lointain, projetant sur la mer l’ombre furtive de son chenal, il traversa la Méditerranée jusqu’aux terres parfumées d’Algérie.

Une “île singulière”, Sète, s’alanguit entre eau salée et eau douce, porte ouverte du canal du Midi vers la Méditerranée © DR

Si chacun sait déjà que, dès 1681, lors de la mise en navigation de la voie d’eau, les barques de patron du canal et leurs demi-muids furent les principaux acteurs de la grande aventure du transport du vin, celui qui en assura l’un des premiers rôles est le port de Sète. Son négoce, essentiel à l’économie vitivinicole du Languedoc mais aussi à d’autres régions de France, va en effet très vite s’imposer, et les activités de cette porte ouverte du canal du Midi sur la Méditerranée vont se développer dans tous les secteurs de la filière du vin et en dominer les marchés. C’est incitée par l’actualité que notre chronique s’est aujourd’hui plongée dans cette époque où l’Algérie écrivait, elle aussi, des pages incontournables de cette histoire que nous débuterons sur les quais d’une “île singulière”.

Entre le sel et l’eau douce

Bien des cartes postales ont ainsi immortalisé les activités de chargement et de déchargement du vin sur les quais du port de Sète, qui lui aussi fut nourri par ce fil rouge de l’histoire du vin © DR

Par sa situation particulière entre mer et étang, Sète portera le nom d’“île singulière”. Et c’est cette même topographie qui va lui offrir l’avantage de favoriser les échanges entre barques de patrons du canal et bateaux maritimes, permettant sa relation très privilégiée avec le commerce du vin. Durant deux siècles, après que le Chevalier de Clerville eut posé la première pierre du môle Saint-Louis en 1666 et que Pierre-Paul Riquet, dès 1669, put en construire les importantes infrastructures des bassins, Sète est destiné à l’exportation. Grâce à lui, les vins produits dans la “belle province” embarquent à la conquête du monde. Ils partent vers tous les royaumes d’Europe, vers la Russie et même en Amérique du Nord.

Centre des négociants

Une planche illustrée du Larousse 1948 sur le phylloxéra © JP Janier

Cette place de choix va dès lors inciter de nombreux négociants à s’installer au cœur même de ce qui est devenu l’incontournable carrefour du vin. Ils viennent de Montpellier, Paris, Bordeaux mais aussi des capitales de l’Europe du Nord. Et malgré les crises, cet intense commerce sétois d’exportation se poursuit sans embellie. Rien ne tarit son développement, ni la Révolution, pas plus que les chutes de la production viticole dues aux forts dommages de la pyrale en 1830 puis de l’oïdium qui, arrivé d’Angleterre et de Belgique, a atteint les vignes languedociennes en 1851.

Quand d’un puceron naît le marasme

Mais en 1860, arrive des Amériques un petit insecte apparenté au puceron qui va ravager les vignobles du Languedoc, de France et du monde entier ! Alors Sète bascule, lui aussi, dans le marasme ambiant… Les exportations jusqu’alors à la hausse stagnent aux alentours de 450 000 hectolitres par an pour chuter aux environs de 149 000 hl en 1890*. Pourtant la cité portuaire n’est pas prête à fléchir face à la funeste “bestiole”.

Quand les vins se mélangent

Si le vin donna à Sète la dynamique de son développement, ce fut le cas aussi en Algérie – Vue du port d’Oran © DR

Sur les quais, ça s’organise ! Et 1870 voit la création d’entrepôts où se pratique le coupage de vins dits “exotiques”. Ils proviennent de pays “étrangers” et sont à fort degré alcoolique (certains atteignant 15 degrés), une qualité qui permet le mouillage avec “nos” vins du Languedoc qui ont un faible degré. Des vins provenant de Grèce, d’Italie, du Portugal et surtout d’Espagne remplissent alors les chais sétois. Cette nouvelle production va redynamiser l’exportation mais aussi l’importation puisqu’il faut de la matière première pour la réaliser. Les négociants se recentrent sur ces nouveaux marchés car ils veulent servir leurs clients. Ils partent dès lors à la recherche des pays producteurs où ils s’imposent dans les transactions. Toute cette agitation commerciale est au bénéfice du port et du canal du Midi, organes indispensables au transport et à toute l’activité d’échange et de stockage. D’environ 110 000 hl en 1872, les vins importés passent à 3,8 millions d’hl en 1888… De quoi ravir nos Sétois.

Des taxes en faveur des “algéries”

Nous ne pouvions manquer un hommage à La Marie-Thérèse, dernier exemplaire de ces barques de patrons qui transportèrent, de Toulouse à Sète, les vins du Languedoc dans leurs demi-muids © DR

C’est à partir de 1892, alors que la reconstitution du vignoble français s’opère après la crise phylloxérique et que les rendements élevés reprennent, particulièrement dans l’Aude et l’Hérault, que se mettent en place des tarifications douanières qui s’appliquent aux vins importés. Qu’à cela ne tiennent, les négociants vont se tourner vers des productions aux mêmes qualités viniques mais que ne touchent pas ces nouvelles taxes. Or, puisque l’Algérie est alors française, qu’il ne s’agit pas de lui imposer les fiscalités de l’import et que le développement du vignoble y est dans son plein élan, iIs vont tout naturellement y choisir les vins de leur négoce.

C’est dans ce contexte que les “algéries” remplaceront les “espagnes”. Ainsi débute cette petite chronique à la trame d’un fil “rouge vin”, tissé entre France et Algérie, dont vous découvrirez la suite la semaine prochaine.

Véronique Herman

* Sources chiffres – Cycle des Hautes Etudes de la Culture – Clermont-Ferrand

Classé sous :Actualités Balisé avec :Algérie, chronique au fil de l'eau, Oran, puceron, quais, Véronique Herman, Vin

Chronique au fil de l’eau : quand le cœur de terre révèle les naïades

7 mars 2022 By Redaction

Certains les disent filles du dieu Océan… Seraient-elles, dès lors, venues se perdre dans le limon aux courbes du canal du Midi, risquant de faire quelques signes à la belle Téthys et de la rejoindre, en vain, en Méditerranée ?

Moules d’eau douce et moules de mer, un lien fait avec le tunage ou clayonnage dont il est question pour la réfection des berges et qui est une pratique de palissage utilisé en myticulture pour accrocher les petites moules… Ici en Charente-Maritime, pose de naissin (paquet de jeunes moules) sur un clayonnage par le boucholeur qui place des pelisses (morceaux de vieux filet avec les moules). © DR

Suite à notre précédente chronique, tout en suivant ce trait des bords de l’eau nouvellement redessiné, les enchevêtrements de racines et de limon, qu’ont dégagés les grands travaux attachés à la réfection des berges, nous ont ouvert la porte sur d’autres découvertes… à la rencontre de quelques nymphes aquatiques. Mais rendons à notre “Colonel Canal” ce qui est à ce passionné de la voie d’eau ! C’est en effet lui qui, observateur chevronné de tout ce qui se déroule sous son balcon aux horizons du canal, nous a inspiré cette page sur un animal bien singulier qu’est “cette espèce point anodine que sont les anodontes”, comme il me le déclara.

Bivalves d’eau douce échoués

Mon “Colonel Canal” prend les mesures ! Cet anodonte-là trouvé sur le grand bief dépasse les 13 cm. © J.P. Janier

En effet, dans le grand remue-ménage qui se déroule autour des importantes excavations de terre bordant le canal, les godets des pelleteuses ne charrient pas que des sédiments, des racines et des végétaux, ils emportent également une certaine faune aquatique, celle dépourvue d’attributs lui permettant d’échapper au joug de la griffe mécanique. C’est ainsi que d’importants bivalves d’eau douce, certains mesurant près de 15 cm et identifiés de la famille des anodontes, se retrouvent aujourd’hui au sec, sur les francs-bords, et sans aucun moyen pour regagner leur milieu aquatique alors qu’ils vivaient paisiblement dans la vase, blottis au fond du lit contre les berges. Bien heureusement, nos fameux coquillages ont développé d’ingénieux processus leur permettant d’affronter temporairement ces situations délicates.

Pourvu que ça ne dure pas !

Exceptionnellement exondé (comme, ici, lors de périodes de chômage ou encore d’assèchement d’étang), notre mollusque se ferme solidement comme une huître et bloque ses “siphons”. Il s’isole, immobile, attendant un peu que cela se passe, à savoir parfois durant plus d’un mois… Une “mise en sommeil” qui peut même se prolonger si c’est dans une terre humide. Ce temps suspendu est donc sans réelles conséquences, pour autant que certains prédateurs, faisant fi d’une chair dure, caoutchouteuse et sans saveur, qui plus est impropre à la consommation humaine, ne viennent pas allégrement se gaver de ces “fruits de mer” (c’est dans cette catégorie que quelques-uns s’entêtent à classer notre moule d’eau douce !) servis dès lors sur un plateau terrien.

Repas de choix du ragondin

Un glouton ragondin amateur de crustacés filant sur les eaux du Somail © V.Herman

Le glouton ragondin, grand amateur de crustacés, fait partie de ceux-là. Il dévore ce plat de choix après avoir fracassé l’épaisse carapace de ses solides incisives orangées. Il est en effet un des rares, avec quelques rats musqués, à parvenir à briser la coque particulièrement dure des anodontes sans s’y casser les dents. L’émail de ces dernières est précisément renforcé par du fer, ce qui les rend très solides et leur donne cette couleur rougeâtre suite à l’oxydation provoquée par le contact de l’air et de l’eau. Gageons que ne tardera pas le replacement des terres aux berges du canal, contre le tunage, et que les anodontes seront bientôt “exfiltrés” et retrouveront leur bain salutaire. Espérons aussi que quelques promeneurs curieux et inconscients, voire peu scrupuleux, ne viennent à la “chasse aux moules” (immangeables), et ne privent le biotope du canal de cet animal aux vertus considérables.

Le laboureur du canal

Remis à l’eau notre anodonte a vite fait de sortir son pied charnu pour tenter de se déplacer © V.Herman

L’anodonte fait en effet partie des organismes filtrants des eaux douces qui participent à la purification du milieu aquatique, dont il prélève les déchets organiques, se nourrissant de débris animaux et végétaux, sans guère se soucier d’une quelconque pollution... s’il en est. Sa vie dans les fonds sableux et vaseux où il s'enfonce, se passe à la “verticale”, dressé sur son pied. Eh oui, notre “bestiole” possède un pied. Un appendice charnu qui, par étirement et contraction, lui permet de “tracter” sa lourde double coque à laquelle son corps ainsi protégé est attaché par un “manteau”. Lentement, le crustacé n’a de cesse de se déplacer dans l’eau (uniquement !) car contrairement à sa lointaine cousine la moule de mer, jamais il ne se fixe. De son pied, il fouille la vase sans relâche, la “laboure” tel un soc de charrue et soulève la matière dans laquelle il trouve ses nutriments. C’est l’extrémité postérieure de la coquille qui, seule, dépasse du limon. Les deux valves restent à peine entrouvertes, à l’endroit où se situent les orifices de deux tubes internes, nommés les siphons qui sont de vrais méats aspirant continuellement l’eau nécessaire à la respiration et à la nutrition.

Des naïades édentées à préserver

Ayant pris contact à ce sujet avec Émilie Collet, responsable du bureau environnement et paysages pour les Voies Navigables de France Sud-Ouest, nous apprenons qu’aucune alerte n’a vraiment été donnée quant à la présence de cette espèce sur le grand bief, ni surtout quant à un éventuel souci de prolifération, comme il en est question à certains endroits avec certaines “moules zébrées”, “chinoises” ou autres. Si lors de la mise à sec des biefs, notamment au-dessus de l’écluse de Castanet en Haute-Garonne, ces mêmes naïades ont été repérées, il s’agit donc bien de les préserver. Afin de mieux les connaître, nous leur consacrerons une suite dans notre prochaine chronique.

Véronique Herman

Classé sous :Actualités Balisé avec :canal du Midi, chronique au fil de l'eau, naïades, Véronique Herman

Chronique au fil de l’eau : de terre, de racines et d’eau

26 février 2022 By Redaction

Les courbes du canal redessinées, les berges reprofilées et voilà que cette glèbe remuée, celle qui pesa tant aux corps des hommes et des femmes du chantier de Riquet, met à jour l’univers racinaire et la nécessité de le protéger.

Sous l’œil fleuri des amandiers, les terres excavées sont impérativement placées entre les plantations sans envahir les collets des jeunes arbres © V.Herman

Faisant suite à notre précédente chronique à propos des “grands travaux” exécutés sur le canal en cette période de chômage, plus particulièrement concernant ses berges, nous voilà plongés au sein de la terre et de l’eau, découvrant ainsi toutes les précautions appliquées aux systèmes racinaires anciens et ceux nouvellement ancrés, dont l’existence dépend de cette subtile symbiose entre les éléments.

De solides berges pour la voie verte

Amélie Saillau, chargée d’opération plantation chez VNF, nous a donc précisé que les terres excavées pour la mise en place du tunage (système de clayonnage préservant les berges et le tracer du canal) sont ainsi évacuées sur les francs bords entre les arbres. Elle nous précise que “de l’écluse de Pechlaurier jusqu’à Argeliers, les travaux sont financés en partie par VNF mais l’intervention principale sur la rive droite, côté halage, est prise en charge par le Conseil départementale de l’Aude qui réalise la “Vélo route”. Afin d’accélérer la mise en service de cette voie verte pour l’été, les instances départementales ont donc décidé également d’assumer les travaux de reprofilage des berges.” Ce qui est notamment le cas du pont canal du Répudre à Ventenac où chacun peut observer la grande animation qui règne pour redessiner les “juste” traits de la beauté à notre canal.

Surtout ne pas “buter” le collet des arbres

Des boudins de coco qui participent au “génie végétal” en venant consolider les berges et offrir un support pour les plantes hélophytes © J-P Janier

Notre spécialiste plantations VNF, qui n’a de cesse d’entourer de soins ces nombreux petits protégés, nous explique également que, pour ces interventions totalement gérées par le Département, il était absolument nécessaire d’attirer l’attention sur les nouvelles plantations. “Le mot d’ordre a été de travailler précautionneusement sans toucher ni abimer les jeunes arbres et leur tuteurage. Mais aussi parmi les recommandations, il a fallu bien stipuler de ne pas déposer les terres au pied des troncs. En effet, le collet ne doit absolument pas être enterré au risque de mettre en danger la vie du végétal en croissance. Le collet est une partie assez vulnérable qui assure, à la surface du sol, la transition entre la tige et le système racinaire. Il est nécessaire aux échanges gazeux essentiels entre les structures souterraines et aériennes de la plante ainsi qu’avec l’oxygène de l’air. Le collet ne doit donc pas être “buté” comme certains en font l’erreur, surtout à la plantation. Il ne doit pas être maintenu dans l’humidité pour ne pas risquer qu’il pourrisse. Ce qui entraînerait alors une mort certaine.”

Tri sélectif des racines

Le tri régulier permet de séparer les racines contaminées par le chancre coloré, et qui seront brûlées, de celles des précieuses plantes ornant naturellement les bords de l’eau. © V.Herman

En excavant ses tonnes de terre, pour reformer les berges et les rendre propres, ce sont toutes les racines des nombreux végétaux venant s’abreuver dans le canal qui ont été emportées dans le godet des pelleteuses. Amélie Saillau nous précise encore qu’un tri sélectif très attentif est effectué. “Il s’agit d’éradiquer les puissantes racines des malheureux platanes qu’il a fallu abattre. Si celles-ci ont jusque-là maintenu les berges, aujourd’hui, coupées de leur bel arbre elles vont se désagréger petit à petit. Mais, avant tout, atteintes par le chancre coloré, elles représentent un risque majeur de propager cette maladie “vasculaire”, puisque, même sans la partie aérienne vivante du végétal, les spores du champignon virulent, le Ceratocystis platanipersiste, demeurent actifs pendant plusieurs années et peuvent continuer à être disséminés dans l’eau. Il est donc important que toutes ces racines malades soient donc, elles aussi, brûlées.”

Nos beaux iris et plantes des bords de l’eau

Berges propres redessinées et horizons “hélas” dégagés avec la disparition des platanes, nous offrent la découverte de paysages étonnants. © J-P Janier

“Par contre nous conservons les rizomes, bulbes et autres racines de tous ces petits végétaux et de cette flore ripisylves implantés les pieds dans l’eau” dit-elle. “Stockés dans les terres retirées (qui ne serviront pas à reconstituer un talutage), ils rejoindront leur milieu naturel lorsque l’espace entre le tunage et la berge sera comblé par cette même terre.” On chuchote même que des projets prévoient de compléter ce couvert végétal par des ajouts de plantes en godets… De quoi rassurer toutes celles et ceux qui craignent pour ce magnifique “jardin naturel” qui, dès le printemps, vient offrir toute sa poésie colorée à la zone frontière entre l'eau et la terre. Amélie Saillau nous rappelle également que dans le processus de “génie végétal” adopté, celui de dérouler le long des berges des boudins de géotextile naturel, et notamment en fibre de coco, cela afin de consolider le maintien des terres, s’accompagne çà et là de graines ou de racines de plantes hélophytes, ces espèces appréciant l’humidité (hygrophiles) puisque, si elles ont la tête et la tige généralement totalement hors de l’eau, elles développent leur système racinaire dans des substrats gorgés d'eau.

Le clayonnage ou tunage servira ainsi de “bordure” à tout ce joli petit monde des bords de l’eau contribuant à la beauté du site et à la préservation d’une biodiversité si sensible, tout en l‘empêchant d’envahir, parfois sans vergogne, le miroir d’eau où il aime tant se mirer.

Et c’est ce chemin d’eau, retracé avec grande agitation mais élégance, qui nous mènera la semaine prochaine à d’autres découvertes… aux horizons des nymphes aquatiques. 

Véronique Herman

Classé sous :Actualités Balisé avec :canal du Midi, chronique au fil de l'eau, Riquet, Véronique Herman, VNF

Chronique au fil de l’eau : quand le génie végétal veille au génie de l’eau

19 février 2022 By Redaction

Dès lors que les siècles ont alourdi la charge sur les berges et menacé le tracé initial du canal Royal du Languedoc, il fallut passer du trapèze au rectangle. Les techniques ancestrales rejaillirent alors dans la mémoire des hommes pour sauver ce qu’ils mettaient en péril.

Sur le grand bief se dessinent mieux encore les courbes du canal accentuées par l’alignement de ces pieux de bois entrecroisés de planches. Tombé sous le charme, notre “Colonel Canal”, que nous remercions pour ses photos, n’a pas résisté à les immortaliser. © J.P. Janier

Depuis le 2 novembre dernier, chacun a pu observer le début de la période de chômage et la vidange de certains biefs. Notre canal du Midi a ainsi été mis en sommeil pour mieux être livré au branle-bas des grands travaux d’entretien et de réparations. Or, cet hiver, outre la maintenance habituelle, le remplacement de certaines portes d’écluses ou du système d’ouverture passant à l’automatisation sur plusieurs ouvrages à bassin unique ou double font que les objectifs sont très ciblés. Ils se concentrent sur la restauration des berges du canal du Midi, parfois très endommagées. Une volonté qui s’inscrit dans le projet des replantations pour retrouver une voûte arborée dans les années à venir, mais aussi dans celui de l’aménagement de la magnifique voie verte qu’offre le chemin de halage.

L’arithmétique de Riquet dans la légèreté

Lorsqu’il creusa le lit de son canal, Pierre Paul Riquet le conçut en profil trapézoïdal suivant une arithmétique correspondant au terrain dont il suivait les courbes de niveau et le gabarit de ses barques en fonction des nécessités de la navigation. Ainsi au miroir (à la surface de l’eau) la moyenne de la largeur est de +/- 20 m et au plafond (soit au fond du canal) elle est de +/- 10 m, cela afin de garantir un mouillage aux bateaux de 1,40 m. Monsieur Souldadié, chef du bureau opérationnel plantation et de l’unité ingénierie “grands projets” chez Voies Navigables de France, nous explique qu’au XVIIe siècle, ce profil était bien adapté. “Les barques étaient halées par des chevaux ou des hommes. La vitesse était très lente. C’était une navigation “douce”. Et sur les berges il n’était question que d’animaux, d’hommes et de charrettes légères.”

Quand vint la vitesse et la lourdeur

“Clayonnage” ou “tunage” qu’on distingue bien ici, avec les solides poteaux verticaux reprofilant les berges. Les terres enlevées et posées entre les arbres seront replacées entre la rive et la palissade de bois. Le tunage est une des rares techniques à admettre le travail de reconstitution des berges dans l’eau. © J.P. Janier

Notre expert VNF poursuit : “Avec la révolution industrielle, les premiers moteurs sont arrivés et les barques ont pu se déplacer plus rapidement. Des ondes de batillage plus importantes, provoquées par cette vitesse même limitée [8 km/h], ont petit à petit accéléré l’érosion naturelle. L’évolution passant du moteur à vapeur à celui à explosion et le développement du nombre de bateaux pour le transport des marchandises, encouragé par l’essor du commerce du vin au XIXe et jusqu’au début du XXe, ont accentué le phénomène. L’activité aux différents ports de chargement et de déchargement avec le passage de véhicules plus lourds sur le halage ainsi que la pression “naturelle” des terres se sont ajoutées à ces effets, dégradant progressivement la structure même des rives et donc du lit du canal. Et aujourd’hui, les pénichettes et la grande fréquentation touristique amplifient encore le processus.”

Et que disparaissent les platanes

Et, comme le souligne M. Souldadié, “le chancre coloré qui décime les platanes vient écrire une page décisive dans cette problématique car la structure des rives s’effondre sans les racines pour la maintenir. Nous reformons donc ce profil en passant du trapèze au rectangle par le creusement de bords droits et en utilisant la technique du tunage. Nos travaux se déroulent sur deux fronts, nous reconstituons les berges et nous replantons. Sur le département de l’Aude, cela représentera entre 7 et 8 millions d’euros dont VNF assumera la moitié, la Région et le département se partageant l’autre moitié.” Le conseil départemental, qui investit dans la réalisation de la “véloroute”, a dès lors étendu ses interventions à cette réfection essentiel du lit du canal.

Pas de palplanches en métal

Étant donné le cahier des charges inhérent au classement du canal du Midi au patrimoine mondial de l'Unesco, il n’est pas question d’employer du métal pour procéder au reprofilage des berges. Il faut impérativement utiliser du bois et abandonner les palplanches, ces pieux droits profilés s’enclenchant verticalement les uns aux autres pour constituer un mur de soutènement et qui aujourd’hui sont généralement en acier. C’est ainsi que le système de tunage a été choisi avec de solides poteaux de bois de châtaigner ou de chêne capables de résister longtemps dans l’eau.

Le génie végétal

Halage d’une barque chargée de vin sur le canal à Agen © DR

Le mot “tunage” a pour origine un terme de construction fluviale empruntée au néerlandais tuin qui signifie jardin et dont la forme tuun désigne un lieu entouré d’une clôture, d’une haie ou d’une palissade. Tuin, au XIXe siècle, se traduisait par le terme français “clayonnage” que nous pourrions tout à fait employer ici puisqu’il s’agit d’un procédé très ancien se servant des végétaux croisés ou tressés pour former des palissades voire des batardeaux sur les rivières. Des traces de ce precédé se retrouvent en Chine voilà plus de quatre mille ans. Dans les Alpes, suite au déboisement intense au XVIIIe et au XIXe siècle, ces montages de piquets verticaux entrelacés de branchages horizontaux ont été construits afin de remédier aux problèmes d’effondrement des terres, de glissement de terrain et d’inondation lors de fortes pluies. Ce tunage ou clayonnage se retrouve également dans différentes techniques de construction, dont celles de petits canaux, de barrages ou encore de maisons en torchis, ainsi que dans la pratique de la mytiliculture sur le littorale atlantique. Il fait partie de ce qui est appelé le “génie végétal” que nous retrouvons aujourd’hui dans bien des aménagements à tendance naturelle dans nos maisons et jardins.

Et c’est ainsi que ce génie végétal participe de la sauvegarde du grand œuvre de ce fameux “génie de l’eau” qu’était Pierre Paul Riquet. 

Véronique Herman

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Chronique au fil de l’eau : et pourtant, il “tourne”… et fait tourner !

21 janvier 2022 By Redaction

Derrière le voile poétique de son miroir d’eau projetant les reflets de la beauté de nos paysages, le canal du Midi œuvre en secret depuis des siècles. Et dans un souhait de permanence et d’éternité, Riquet, son génie créateur, l’a voulu ainsi : que son eau soit si “forte” qu’elle fende la terre du Languedoc, l’arrose et que, en allées et venues de Méditerranée en Atlantique, elle porte hommes et bateaux, transporte le grain et le vin puis fasse tourner les roues des moulins.

Dans cette magie du miroir d’eau dont la lumière hivernale exacerbe majestueusement les reflets, le canal “tourne” et coule, cachant au fond de son lit et dans la pierre de ses ouvrages les affres du temps. Photo au pont de Saint-Rome.

Prévoyant les difficultés et les obstacles à braver tout en élaborant chaque détail des ouvrages d’art nécessaires à son canal, Pierre-Paul Riquet travailla sans relâche, l’esprit guidé par cette volonté de pérennité pour ce grand œuvre… afin qu’il soit éternel pour des siècles et des siècles ! En cela, déjà en 1664, il écrivait ainsi à Colbert à propos de ses “aménagements et inventions” puisqu’il voulait rendre “la navigation du canal perpétuelle, et faire les arrosements, et aller moulins à la coutume”. Établir un lien entre la Méditerranée et l’océan n’avait en effet d’autre but que de concevoir une voie de transport très pragmatique, un outil économique à exploiter et à rentabiliser, et donc à entretenir, dans la permanence pour en maintenir longuement la fonction première.

Créer pour tourner

Parce que le sens de “tourner” n’est pas uniquement celui d’un mouvement circulaire, parce qu’il signifie aussi “se déplacer”, “aller et venir” voire “changer de direction”, mais encore “être en activité ou en fonction”, parce que “faire tourner” est une action qui met en mouvement, qu’elle est la capacité de faire fonctionner et donc d’être la force nécessaire à d’autres éléments pour se mettre en marche, d’être à l’origine même de leur existence, il nous a semblé que notre canal était bien né pour “tourner” et “faire tourner”. Nous n’avons donc pas hésité d’user, en titre, de la légendaire citation de Galilée, concernant les mouvements de la Terre autour du Soleil. Bien entendu ici, elle a également pour but de nous rappeler qu’en ce même XVIIe siècle, si Riquet parvint à ses fins sans prendre le risque d’être, lui aussi, persécuté (son canal ayant cependant eu “raison” de sa vie avant même d’être terminé), c’est comme un visionnaire et un utopiste qu’il dut convaincre le roi et son ministre. Cette phrase dont l’usage sert donc aux causes jugées irréalistes exprime l’adversité, celle à laquelle dut faire face Riquet comme celle devant laquelle se retrouvent parfois d’autres acteurs de la voie d’eau, ici et ailleurs, jadis et maintenant.

Utopie d’un canal vivant ?

En avril 2021, prise dans l’étau provoqué par le décèlement d’une lourde pierre et très certainement aussi par l’effet de la poussée des terres sur les parois de l’entrée de l’écluse de l’Aiguille, la Marie-Thérèse, elle qui jusque dans les années 60 navigua de Toulouse à Sète sans encombre, fut contrainte de faire marche arrière toute et de retrouver son port d’attache à Ventenac-en-Minervois.

Ces considérations nous amènent tout droit à la tribune que vient de publier un collectif regroupant précisément plus d’une trentaine de ces acteurs de la voie d’eau que sont les canaux de France, soit 8500 km de réseau navigable intérieur, le plus long d’Europe et semble-t-il le moins utilisé. Ces différentes associations et groupements d’utilisateurs professionnels et particuliers s’inquiètent et interpellent sur l’état de dégradation dans lequel se retrouve le réseau dit “voies navigable Freycinet et petit gabarit” et dont fait partie notre canal du Midi. Tous veulent agir et sensibiliser l’opinion publique afin que les autorités de compétence fluviale se mobilisent et prennent des décisions conséquentes. Il paraît en effet urgent de remédier au plus vite à la détérioration de ce réseau de transport qui affecte à la fois la plaisance, le tourisme et le fret, sous peine de ne pouvoir conserver des canaux “vivants”… Une démarche qui, dans son ensemble, ne peut être, effectivement, considérée comme une utopie, mais bien comme une réalité dont la prise de conscience est aussi celle concernant la vie économique, culturelle et sociale de bien des régions.

Dragage et réparation

Au niveau du canal d’amenée vers le moulin de l’écluse du Vivier, la mise à sec montre à quel point l’entretien et le dragage s’avèrent essentiels pour la navigation mais aussi pour la bonne marche du moulin.

Si les 2400 km de fleuves et canaux à grand gabarit, permettant aux bateaux de transporter jusqu’à 4400 tonnes de charges utiles, ont été maintenus en bon état, ce ne serait donc pas le cas des 5000 km de canaux Freycinet (du nom de leur concepteur au XIXe siècle) sur lesquels il est possible de charger 350 tonnes de marchandises et des 1000 km de canaux et rivières principalement utilisés pour la plaisance. Or, sans réparation des ouvrages essentiels, dont des écluses et des ponts-canaux accusant de nombreuses fuites, et sans dragages réguliers des fonds très envasés, cette navigation pourrait bien être très entravée. Le risque annoncé est celui d’un mouillage passant de 2,20 m à 1,60 m, ce qui empêcherait, plus particulièrement sur notre canal du Midi, tout usage de péniche “hôtel”, compliquerait celui des pénichettes de plaisance et supprimerait tant l’activité de fret que ses perspectives de développement… Autre souhait ou “utopie”, au vu des difficultés à surmonter quant aux délais et coûts, aux moyens de liaisons à mettre en place entre les lieux précis des expéditeurs et des destinataires, aux structures de chargements et déchargement, etc. ? Mais revenons au cœur de notre sujet : car il est vrai que les Voies Navigables de France s’activent précisément en cette période de chômage à cet entretien difficile de la voie d’eau, l’entreprise semble bien titanesque et au-delà des moyens de l’institution. Or sans passage de bateaux le phénomène d’envasement et de prolifération des plantes invasives ne fera que s’accentuer, réduisant par là-même le flux d’eau, amplifiant de façon exponentielle ce phénomène.

Hommage à la lenteur pour le climat

Au fond de l’écluse de Guerre, la descente du niveau d’eau avec la période de chômage et la mise à sec du canal sur ce bief, à cinq écluses en aval du grand bassin de Castelnaudary, montre les déchets au fond du sas et l’urgence du nettoyage.

Et pourtant… Le contrat d'objectifs et de performance (COP), signé le 30 avril 2021 entre l'état et Voies Navigables de France (VNF) pour la période 2020-2029, entend faire du mode fluvial un des piliers de la transition écologique. Un hommage à la lenteur qui, si il ne répond pas aux impératifs actuels d’une économie de croissance où l’urgence est une priorité, permettrait de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre vis-à-vis du transport routier qu’il pourrait remplacer, réduisant également l’insécurité routière et les nuisances sonores. Concernant le COP, ce sont donc 220 millions d'euros pour l’année 2020, 300 millions d'euros en 2021, suivis à l’horizon 2030 de 3 milliards d'euros d'investissements prévus pour les infrastructures fluviales, dont 1,9 milliard d'euros dédiés à la régénération et à la modernisation du réseau. Or, pour le collectif précité, cela est largement insuffisant. Il est vrai que, concernant notre canal, si Riquet avait bien prévu l’entretien des infrastructures et du lit de son canal Royal du Languedoc, les deux derniers siècles passés ont eu tendance à l’abandonner comme voie économique et de communication au profit, d’abord du ferroviaire, lui-même délaissé ensuite au bénéfice du routier.

Souhaitons qu’une expertise ciblée définisse les justes coûts de cette “re”mise en état, que les volontés se concentrent sur la vie de ces “petits” canaux… et que, comme le voulait Riquet, son canal Royal devenu “nôtre”, celui du Midi, continue de tourner “éternellement” !

Véronique Herman

Classé sous :Actualités Balisé avec :canal du Midi, chronique au fil de l'eau, Riquet, Véronique Herman, Voies Navigables de France

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